RAPPORT Nº 51/96[8]/
              
DECISION DE LA COMMISSION A PROPOS DU BIEN FONDE DE
                                              
L'AFFAIRE 10.675
                                       
ETATS-UNIS D'AMERIQUE[9]/
                                                 
13 mars 1997

I.       RESUME DES FAITS IMPUTES:

         1.      Le 1er octobre 1990, la Commission a été saisie d'une requête qui a été présentée aux noms des requérants suivants:

         a.      Comité haïtien des droits de l'homme, Port-au-Prince (Haïti).
        
b.      Centre Karl Levesque, Port-au-Prince (Haïti).
        
c.      The National Coalition for Haitian Refugees, New York, N.Y. (Etats-Unis).
        
d.      The Haitian Refugee Center, Inc., Miami, Floride (Etats-Unis).
        
e.      The Haitian Centers Council, New York, N.Y. (Etats-Unis).
        
f.      The Haitian-American United for Progress, Cambria Heights (Etats-Unis).
        
g.      The Washington Office on Haiti, Washington, D.C. (Etats-Unis).

         h.      Jeannette Gédéon
        
i.       Dukens Luma[10]/
        
j.       Fito Jean[11]/

         k.      Des personnes de nationalité haïtienne, dont le nom n'est pas mentionné, qui ont été et qui sont renvoyées en Haïti contre leur volonté[12]/.

         2.      D'après la requête, les personnes qui arrivent d'Haïti dans des embarcations de fortune "boat people" se sont vues refuser, et continuent à se voir refuser, l'entrée aux Etats-Unis et sont renvoyées en Haïti, en application:

a.      du Programme d'interception des immigrants haïtiens, institué par le décret nº 4865 et le Décret du pouvoir exécutif nº 12324, édicté le 29 septembre 1981, par celui qui était Président des Etats-Unis à ce moment-là, Ronald Reagan, et,

b.      d'un accord de coopération mutuelle signé entre le Gouvernement des Etats-Unis et le régime de Duvalier, le 23 septembre 1981, par l'entremise d'un échange de notes diplomatiques.

         3.      La requête soutient également que bon nombre des personnes qui sont arrivées dans des embarcations de fortune  avaient une crainte légitime d'être persécutées si elles rentraient en Haïti, mais elles se sont vues refuser l'instance et les procédures appropriées pour trouver une solution à leurs réclamations. Ce débouté constitue une violation de l'obligation du Gouvernement des Etats-Unis qui ne peut renvoyer, en aucune circonstance, un réfugié vers un territoire dans les frontières desquelles sa vie ou sa liberté pourraient être menacées pour des considérations de race, de religion, de nationalité, d'appartenance à un groupe social déterminé ou d'opinions politiques. Que, en dépit des promesses faites par le Gouvernement d'Haïti (au cours d'un échange de notes diplomatiques) selon lesquelles ceux qui rentreraient en Haïti ne seraient pas punis d'en être partis, les personnes, arrivées dans des embarcations de fortune, qui avaient été interceptées et rapatriées contre leur volonté par le Gouvernement des Etats-Unis ont été systématiquement arrêtées à leur retour en Haïti.

         4.      Que les 7, 8 et 13 mai 1990, quarante-trois (43) rapatriés, y compris quelques Haïtiens qui avaient été incarcérés au Centre de détention Krome du Service d'immigration et de naturalisation (INS, d'après les sigles en anglais), situé à Miami (Floride), ont été appréhendés par les autorités militaires haïtiennes, immédiatement après leur arrivée à Port-au-Prince. Ils ont été incarcérés à la Prison nationale, certains pendant plus d'une semaine, avant d'être relâchés. Le 5 juin 1990, un autre groupe, composé de trente-et-un (31) Haïtiens, déportés du Centre de détention Krome, ont été appréhendés en arrivant en Haïti et, selon leurs affirmations, on leur a dit que dorénavant le Gouvernement surveillerait de près leurs mouvements. Que les autorités militaires ont assuré que 16 membres au moins de ce groupe étaient des personnes arrivées dans des embarcations de fortune. Que les requérants ont été informés et croient que les personnes qui, arrivant dans des embarcations de fortune, avaient quitté leur pays parce que leur vie ou leur liberté étaient menacées affrontent presque toujours un danger encore plus grand quand elles ont été interceptées et renvoyées de force aux autorités militaires haïtiennes.

         5.      Que, d'après le procès-verbal de la déclaration d'un dissident qui a participé à l'organisation de manifestations contre le régime militaire haïtien en 1987 et qui, étant parvenu à la conclusion qu'il était trop dangereux pour lui de rester en Haïti, s'était enfui de son pays, mais a été intercepté et renvoyé en Haïti par les "Coastguards" (les gardes-côtes des Etats-Unis), cet individu a affirmé que: l'inspecteur de l'immigration qui m'a interrogé m'a dit que, puisqu'il y avait un nouveau Gouvernement, je serai renvoyé en Haïti. Ils ont refusé d'admettre que j'avais de bonnes raisons d'être parti d'Haïti et que des menaces de mort continuaient à peser sur moi... Dès que j'ai été renvoyé en Haïti, j'ai été obligé d'aller d'une maison dans l'autre, à ne jamais dormir deux nuits de suite au même endroit, afin d'être sûr que l'armée ne saurait jamais où je me trouvais pour m'arrêter". Depuis la mise en marche de ce programme, plus de 361 barques dans lesquelles voyageaient 21.461 Haïtiens ont été interceptées et six Haïtiens seulement ont reçu l'autorisation d'entrer aux Etats-Unis pour présenter une demande d'asile.

         6.      Le 3 octobre 1991, les requérants ont présenté une "Demande d'urgence de mesures provisoires de l'OEA visant à faire cesser la politique américaine d'interception et de déportation des réfugiés haïtiens". Ils y exposaient, entre autres, que le Gouvernement des Etats-Unis avait continué à intercepter les Haïtiens qui demandaient asile et à expulser ceux qui étaient entrés aux Etats-Unis. Les résultats concrets de cette politique d'interception sont de priver les Haïtiens d'une possibilité équitable d'introduire et de motiver une demande d'asile politique et d'en démontrer le bien fondé. La probabilité que la demande d'un Haïtien soit considérée comme légitime était de 0,005% environ. Un Haïtien qui éludait l'interception et arrivait jusqu'aux Etats-Unis avait au moins 5% de possibilités que sa demande d'asile soit considérée légitime. Le bien fondé de la demande d'asile ne changeait pas subitement dès que les personnes arrivaient dans des embarcations de fortune, après être parvenues à éluder le programme d'interception mais c'est que dans ce cas-là elles avaient la possibilité d'être entendues.

         7.      Le 6 février 1992, les requérants ont présenté une "Demande d'urgence de mesures provisoires de l'OEA afin de faire cesser la politique américaine de refoulement vers Haïti des réfugiés haïtiens ayant fait l'objet d'une interception après le coup d'Etat militaire du 30 septembre 1991". Cette demande affirmait que le coup d'Etat brutal et violent qui avait renversé le Président Jean-Bertrand Aristide, élu démocratiquement, avait précipité Haïti dans une période de violence politique qui avait fait plus de 1.500 morts. Le maintien dudit programme d'interception, en dépit du coup d'Etat, avait privé les Haïtiens qui fuyaient la junte militaire d'une possibilité équitable de présenter et de motiver leur demande d'asile politique.

         8.      Selon une information qui a été fournie à l'avocat des requérants au cours d'un entretien par téléphone avec l'attaché de presse du Service d'immigration et de naturalisation (INS), le 5 février 1992, l'INS estimait que "depuis novembre 1991, 15.081 Haïtiens ont été l'objet d'une interception". D'après les archives, 1,8% seulement des Haïtiens qui avaient été autorisés à présenter une demande d'asile politique avaient obtenu effectivement l'asile. (Voir Refugee Reports, Vol. XII, nº 12, du 30 décembre 1991, page 12). Etant donné la violence permanente qui règne en Haïti, l'incapacité du programme d'interception à identifier de manière équitable les demandes d'asile légitimes et le fait que le Gouvernement des Etats-Unis ne soit pas en mesure de garantir que les Haïtiens qui rentraient dans leur pays ne souffriraient aucun mal, le Programme d'interception des Haïtiens constituait une violation grave de différentes dispositions du Droit international. (La liste des règles qui, selon ce qui est allégué, ont été violées, figure dans la IIème partie du présent rapport).

         9.      Le 11 février 1992, les requérants ont présenté un écrit complémentaire pour appuyer la Demande d'urgence qu'ils avaient présentée le 6 février 1992. Ils y soutenaient que des fonctionnaires des Nations-Unies avaient interrogé quatre personnes à la Base navale du Gouvernement des Etats-Unis à Guantanamo et que, d'après ces entretiens, il n'y avait apparemment aucun doute que les Haïtiens, ayant été interceptés qui avaient été rapatriés de force par le Gouvernement des Etats-Unis, avaient été et continueraient à être soumis à des brutalités de la part du Gouvernement militaire, une fois rentrés en Haïti. Toutes les personnes avec lesquelles ils s'étaient entretenus s'étaient enfuies d'Haïti pour des motifs politiques et étaient membres de partis politiques dans la mouvance d'Aristide.[13]/  Les requérants ont soutenu par ailleurs que, lorsque les personnes qui ont été interceptées ont été rapatriées, les soldats du Gouvernement étaient là, sur le quai, et ils leur ont demandé leurs noms et adresses après que la Croix Rouge haïtienne ait relevé leur identité.

         10.    Par la suite, bon nombre de personnes rapatriées ont été arrêtées à leur domicile. Certaines d'entre elles ne sont jamais retournées chez elles et ont été arrêtées à des barrages préétablis. Plus tard, plusieurs ont été retrouvées mortes, tuées par balle. Quelques-unes ont été battues en public par les militaires qui ont obligé les gens, en braquant leurs armes sur eux, à identifier les Haïtiens rapatriés. D'autres ont été emmenées à la Prison nationale où elles ont été battues tous les jours et privées de nourriture. Quelques-unes ont été torturées jusqu'à ce que mort s'ensuive. Un des gardiens de la prison au moins a dit aux détenus qu'on les torturait parce qu'ils s'étaient enfuis d'Haïti et que d'autres subiraient le même sort. A d'autres, on a dit qu'un juge de l'endroit avait émis un mandat d'arrêt contre les personnes rapatriées parce qu'elles étaient parties d'Haïti et avaient critiqué le Gouvernement militaire.[14]/

II.      EN L'ESPECE, LES REQUERANTS IMPUTENT QU'IL Y A VIOLATION DE:

a.      Les articles I, II, XVII, XVIII, XXIV et XXVII de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme (Déclaration américaine).

b.      Les articles 22(2)(7)(8), 24 et 25 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme, complétée par l'article 18 de la Convention de Vienne sur le droit des traités.

c.      Les articles 55 et 56 de la Charte des Nations-Unies ("Charte de l'ONU").

d.      Les articles 3, 16 (1) et 33 de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, 189 U.N.T.S. 150 ("Convention de l'ONU sur les réfugiés").

e.      Le Protocole des Nations-Unies relatif au statut des réfugiés ("Protocole de l'ONU sur les réfugiés"), qui a été ouvert à la signature le 31 janvier 1967, et qui est entré en vigueur, pour les Etats-Unis, le 1er novembre 1968, 19 U.N.T.S. 6224, T.A.I.S. nº 6577.

f.      Les articles 8, 13(2) et 14 de la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations-Unies ("Déclaration universelle").

g.      Le droit coutumier international qui prohibe aux Etats-Unis d'empêcher les personnes de quitter leur pays ou de renvoyer des réfugiés vers des situations de persécution ou qui mettent en danger leur vie ou leur liberté et qui garantit le droit à un recours effectif.

III.     LES REQUERANTS DEMANDENT:

         11.    Alors que cette pétition était en instance, les requérants ont formulé plusieurs requêtes. Et notamment[15]/, ils ont sollicité que la Commission décide de:

a.      S'efforcer d'obtenir que le Gouvernement des Etats-Unis adopte des mesures provisoires d'assouplissement, d'application immédiate, qui consisteraient à suspendre temporairement le Programme d'interception des immigrants haïtiens et de déportation vers Haïti des Haïtiens ayant fait l'objet d'une interception, jusqu'à ce que l'ordre constitutionnel soit rétabli en Haïti et que cesse le grave danger qui menace actuellement tous les Haïtiens, à savoir, pâtir des brutalités arbitraires exercées sous les auspices de l'Etat (Programme relatif aux immigrants).

b.      Déclarer que le Programme relatif aux immigrants constitue une violation grave des droits de l'homme protégés au plan international, y compris ceux qui sont reconnus aux articles XXVII (droit d'asile), XXIV (droit de pétition) et XXVIII (droit à un recours effectif) de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme.

c.      De manière subsidiaire, si cet "amparo" est rejeté,  insister pour que le Gouvernement des Etats-Unis applique des politiques et des procédures garantissant que, dans le cadre du programme, il sera accordé, sur un pied d'égalité, accès et protection juridique aux personnes qui souffrent de persécution pour la présentation et l'examen de leurs requêtes ainsi que de leur demande d'asile et que leurs requêtes seront examinées et tranchées avec compétence, objectivité et sans discrimination et que le fondement des décisions concernant leur dossier sera communiqué aux intéressés.

d.      Se rendre le plus tôt possible en Haïti afin de vérifier les faits sur place dans le but d'évaluer la violence politique qui existe dans ledit pays ainsi que les possibilités que des pays tiers se chargent de garantir la sécurité des personnes qui sont rapatriées de force.

e.      Qu'il soit permis aux personnes qui ont fait l'objet d'une interception de recevoir des conseils juridiques pour remplir leurs demandes d'asile politique.

f.      De prendre une décision définitive sur le bien fondé de la présente affaire lors de sa 87e Session, en septembre de cette année.

IV.     PROCEDURE DEVANT LA COMMISSION

         12.    Après avoir été saisie de la plainte, le 3 octobre 1990, la Commission a observé toutes les démarches de procédure que prévoit son règlement interne. Elle a pris contact avec les requérants et avec le Gouvernement des Etats-Unis; elle a adressé aux deux parties plusieurs notes et elle a examiné, soupesé et analysé toutes les informations présentées par les parties.[16]/

         13.    Parmi les notes envoyées au Gouvernement des Etats-Unis, figure un télex daté du 4 octobre 1991, adressé à l'ancien Secrétaire d'Etat des Etats-Unis, James A. Baker III, lors de la 80e Session de la Commission, dans lequel il est dit ceci: "La Commission a décidé, en application du paragraphe 4 de la Résolution 1/91 de la Réunion ad-hoc des ministres des relations extérieures, intitulée 'Soutien au Gouvernement démocratique d'Haïti' de demander au Gouvernement des Etats-Unis de suspendre sa politique d'interception des personnes de nationalité haïtienne qui essaient de trouver asile aux Etats-Unis et qui sont refoulées en Haïti, en raison du danger qui menace leurs vies, jusqu'à ce que la situation, en Haïti, soit redevenue normale."

         14.    Le 6 février 1992, la Commission a envoyé une note (une de celles qui ont été mentionnées ci-dessus), souscrite par le Président de la Commission à l'ancien Secrétaire d'Etat James A. Baker III, dans laquelle il était dit ceci: "La Commission interaméricaine des droits de l'homme prend note du fait que, le 3 février 1992, le rapatriement d'Haïtiens en provenance des Etats-Unis a repris et que l'application de la politique actuelle aura pour résultat le transfert d'environ 12 000 Haïtiens. Etant donné l'incertitude quant à la situation qui prévaut actuellement en Haïti, les membres de la Commission, à l'unanimité, prient respectueusement le Gouvernement des Etats-Unis de suspendre, pour des raisons humanitaires, le rapatriement des Haïtiens".

         15.    Le 26 février 1993, dans une audience tenue par la Commission, les requérants ont affirmé que leur requête était recevable; ils ont demandé l'adoption de mesures conservatoires; ils ont présenté des preuves documentaires à propos des conditions d'hygiène où vivaient les personnes ayant fait l'objet d'interception qui étaient retenues dans la Baie de Guantanamo et ils ont présenté trois témoins qui ont fait une déposition devant la Commission. Le premier a parlé des brutalités et des persécutions qu'il avait affrontées avant de quitter Haïti dans l'intention d'émigrer aux Etats-Unis. Il a également témoigné en détail des brutalités dont il avait été l'objet de la part de la police et des forces armées haïtiennes après qu'il ait été intercepté et renvoyé en Haïti. Il a déclaré par ailleurs qu'après avoir quitté Haïti une deuxième fois, il était arrivé aux Etats-Unis. Comme on lui a accordé une possibilité raisonnable de présenter sa demande auprès des Services de l'immigration, la qualité de réfugié aux Etats-Unis lui a été reconnue[17]/. Le deuxième témoin a fait une déposition à propos des raisons pour lesquelles le système de "traitement des demandes d'asile dans le pays" n'étaient pas efficaces[18]/. Le troisième témoin[19]/, qui a présidé récemment une mission en Haïti, composée d'une délégation du Congrès américain, a fait une brève déclaration au sujet de sa dernière visite en Haïti et il a demandé catégoriquement à la Commission d'appliquer les principes relatifs aux droits de l'homme énoncés dans la Déclaration américaine des droits de l'homme quand elle statuera sur cette requête.

         16.    Le 5 mars 1993, des avocats du Gouvernement des Etats-Unis sont comparus devant la Commission et ils ont présenté leurs arguments, selon lesquels ils ont demandé à la Commission de déclarer irrecevable la demande des requérants. Ils ont présenté différents documents avec leurs annexes qui appuyaient la politique dudit Gouvernement en ce qui concerne le Programme d'interception; des communiqués de presse qui relatent les efforts déployés par ledit Gouvernement afin d'accélérer les formalités relatives aux "demandes d'asile des réfugiés introduites dans leur propre pays", et afin d'obtenir le rétablissement du Gouvernement constitutionnel et le retour en Haïti du Président Aristide, ainsi que deux déclarations. L'une d'elles était celle de Bernard W. Aronson, ancien Secrétaire d'Etat adjoint pour les affaires interaméricaines, qui exprimait son soutien au Programme d'interception et l'autre était celle de Dudley G. Sipprelle, Consul général de l'Ambassade des Etats-Unis à Port-au-Prince qui a déclaré que l'Ambassade avait constaté, à la fin d'une investigation, qu'une personne qui avait fait l'objet d'une interception et avait été rapatriée en Haïti, n'avait pas été persécutée à son retour.

         17.    Le 12 mars 1993, la Commission a approuvé un rapport qui répondait à une demande d'adoption de mesures conservatoires, dans le cadre d'une audience qu'elle a tenue le 26 février 1993, au cours de laquelle elle a ordonné les mesures conservatoires suivantes:

a.      Elle a lancé un appel au Gouvernement des Etats-Unis, lui demandant de réviser, de toute urgence, sa pratique consistant à arraisonner en haute mer les bateaux se dirigeant vers les Etats-Unis dans lesquels voyagent des Haïtiens et à renvoyer ceux-ci en Haïti sans leur accorder la possibilité de démontrer qu'ils ont droit à la qualité de réfugiés, conformément au Protocole relatif au statut des réfugiés ou en tant que demandeurs d'asile dans le cadre de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme.

b.      Elle a lancé un appel au Gouvernement des Etats-Unis, lui demandant de prendre les mesures nécessaires afin que les Haïtiens qui se trouvent aux Etats-Unis ne soient pas renvoyés en Haïti, sans avoir déterminer au préalable s'ils avaient droit à être qualifiés de réfugiés, conformément au Protocole relatif au statut des réfugiés ou en tant qu'asilé, dans le cadre de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme.

c.      Elle s'est mise à la disposition des parties concernées en vue de rechercher un règlement amiable de cette question, fondé sur le respect des droits de l'homme reconnus dans la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme.

d.      Elle a déclaré que cette demande est formulée sans préjudice de la décision définitive qui serait rendue en l'espèce.

         18.    Le 6 août 1993, l'avocat des requérants et le Conseiller juridique du Gouvernement des Etats-Unis se sont rencontrés dans les bureaux de la Commission afin de discuter de questions ayant trait au règlement de la présente affaire; questions qui n'ont pas été réglées.

         19.    Le 13 octobre 1993, lors de sa quatre-vingt-quatrième Session, la Commission a émis la déclaration suivante:

a.      La requête est recevable en ce qui concerne les requérants qui figurent à la page 40, Section VI, paragraphe 1.[20]/

b.      Le bien fondé de la requête sera examiné lors de la quatre-vingt-cinquième Session, conjointement avec tout autre document supplémentaire que lui feraient parvenir les parties.

c.      La Commission se met à la disposition des parties concernées en vue de rechercher un règlement amiable de cette question, fondé sur le respect des droits de l'homme reconnus dans la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme.

d.      Les mesures conservatoires ordonnées par la Commission le 12 mars 1993, auxquelles il est fait référence aux pages 8 et 9, Section IV, paragraphe 17 du rapport en question, sont toujours en vigueur.

         20.    Le 10 février 1994, la Commission a tenu une audience à la demande des requérants. Au cours de ladite audience, les requérants ont présenté trois témoins: Dukens Luma, Fito Jean et Pierre Espérance. Dukens Luma et Fito Jean ont fait leur déclaration devant la Commission au cours de l'audience. Ils ont parlé de leurs expériences après qu'ils aient été interceptés, à deux reprises, par les gardes-côtes des Etats-Unis. Après leur interception par les gardes-côtes, la première fois, ils ont été refoulés en Haïti, sans qu'on leur ait accordé un entretien adéquat. Ils ont également déclaré qu'après avoir été interceptés une deuxième fois par une embarcation des gardes-côtes, ils ont été emmenés à la Base navale de Guantanamo, où ils ont été interrogés et ensuite envoyés sur parole aux Etats-Unis.

         21.    Dukens Luma a déclaré et affirmé dans son écrit rédigé sous la foi du serment qu'il s'était enfui d'Haïti, la première fois, après le coup d'Etat, pour des raisons politiques, parce qu'il était partisan du Président Aristide. Il était poursuivi par les militaires à cause de ses activités politiques et de son opposition au coup d'Etat. Il s'est enfui d'Haïti alors que les militaires le poursuivaient, il est tombé et s'est cassé une jambe, il s'est caché et finalement il a quitté Haïti. Il a été intercepté par une embarcation des gardes-côtes. Ils ont plâtré sa jambe cassée et l'ont ensuite rapatrié en Haïti, une première fois. A son arrivée, il a été arrêté par la police, il a été frappé au moins quinze fois avec un bâton sur sa fesse gauche, du même côté que sa jambe fracturée. Plus tard, il s'est échappé, il a été intercepté par une embarcation des gardes-côtes et après avoir eu une occasion raisonnable de présenter sa demande, il a été envoyé sur parole aux Etats-Unis.

         22.    Fito Jean a déclaré et affirmé dans son écrit rédigé sous la foi du serment qu'il soutenait le Président Aristide et qu'il s'était enfui d'Haïti pour des raisons politiques, en novembre 1992. Il était l'objet de persécutions du fait de ses activités comme militant, par exemple, les manifestations et la résistance contre le régime de facto. Il a été intercepté et rapatrié en Haïti et il a assisté à des sévices physiques infligés à des individus par des militaires qui voulaient savoir lesquels, parmi ceux qui étaient dans l'autobus dans lequel il se trouvait, étaient des rapatriés. Quand on l'a interrogé, le conducteur de l'autobus a dit aux militaires qu'il travaillait pour lui et c'est ainsi qu'il a réussi à échapper aux brutalités. Il s'est enfui d'Haïti pour la deuxième fois en janvier 1993, il a été intercepté et après qu'on lui ait accordé une possibilité raisonnable de présenter sa demande, il a été envoyé sur parole aux Etats-Unis.

         23.    Pierre Espérance, chercheur associé de la Coalition nationale pour les réfugiés haïtiens, à Port-au-Prince (Haïti), depuis décembre 1991, a fait une déclaration et a remis un écrit sous la foi du serment à propos de son expérience, en tant que témoin, en ce qui concerne le traitement que la police et des militaires réservent aux réfugiés haïtiens à leur arrivée à Port-au-Prince (Haïti). Son témoignage a révélé que, en tant que chercheur associé, il mène des recherches à propos des cas de violations des droits de l'homme en Haïti, ce qui implique interroger les victimes et les témoins des violations et se rendre sur les lieux où les incidents se sont déroulés, dans le but d'intervenir au nom des victimes et des détenus qui ont besoin d'aide de toute urgence. Toutefois, ses principales fonctions comprennent également surveiller le traitement dispensé aux "boat people" qui ont été rapatriés, une fois qu'ils ont débarqué à Port-au-Prince et aider les gens qui demandent le statut de réfugiés par l'intermédiaire du Programme des Etats-Unis de traitement de ces demandes dans le pays. Il a affirmé que la vague actuelle de réfugiés a été provoquée par trois problèmes graves qui existent en Haïti: d'abord, la situation des droits de l'homme dans ce pays; deuxièmement, le traitement qui est dispensé aux "boat people" qui ont été rapatriés; et troisièmement, l'examen en Haïti même des demandes pour obtenir du Gouvernement des Etats-Unis le statut de réfugiés.

         24.    Pierre Espérance a déclaré que: la situation actuelle des droits de l'homme en Haïti était critique, les viols, les détentions arbitraires, la torture et les cadavres abandonnés dans les rues sont monnaie courante, tous les jours. Les cibles principales de la répression sont les membres des mouvements populaires, les syndicalistes, les militants de la démocratie dans les agglomérations urbaines et rurales. Les exécuteurs de cette répression sont les chefs de section, les soldats de l'armée haïtienne et les civils armés, à qui l'on donne le nom d'attachés. Le Front pour l'avancement et le progrès d'Haïti (FRAPH) est un parti politique, formé d'attachés et soutenu par l'armée, qui participe directement à la répression, dans tout le pays.

         25.    Les militants politiques ne peuvent pas se réunir ni s'associer, sauf pour des activités en faveur des militaires. Ainsi, le 27 décembre 1993, à Cité Soleil, des civils armés et des membres du FRAPH ont brûlé plus de trois cents maisons, par représailles, parce qu'un de ses membres avait été attaqué. Plus de cinquante personnes furent assassinées et des milliers n'avaient plus de maison. La semaine précédente, à Sartre, l'armée a attaqué une réunion de militants communautaires et ouvert le feu contre la maison, tuant douze personnes. Il n'y eut aucune sanction à l'encontre de ces actions. Les personnes qui commettaient ces actes étaient celles à qui les Etats-Unis remettaient les réfugiés qui s'enfuyaient.

         26.    Il avait assuré la surveillance des rapatriements en Haïti depuis le 3 février, sur les quais où les embarcations des Etats-Unis laissaient les réfugiés et il avait surveillé de la sorte plus de vingt rapatriements. C'est à cette date-là en effet que s'était produit le premier rapatriement après le coup d'Etat contre le Président Aristide. Sur les quais, il avait observé le même scénario d'intimidation, de menaces et de détentions sommaires à l'égard des "boat people" refoulés de la part de l'armée haïtienne et des attachés, sous les yeux des fonctionnaires des Etats-Unis et des organisations humanitaires. Avant septembre 1993, lorsque les bateaux arrivaient à quai, c'était en présence des fonctionnaires de l'ICP des Etats-Unis, des soldats haïtiens et des civils armés, de la Croix-Rouge, des médias et de quelques défenseurs des droits de l'homme, qui, tous, étaient autorisés à se trouver là. Cependant, à partir de septembre 1993, seuls les fonctionnaires de l'ICP des Etats-Unis, la Croix-Rouge, les soldats haïtiens et les civils armés avaient l'autorisation d'être sur les quais. Les journalistes et des défenseurs des droits de l'homme n'étaient pas autorisés à s'y trouver.

         27.    Les fonctionnaires des Etats-Unis montaient à bord des embarcations avant que les rapatriés n'en débarquent afin de leur remettre des questionnaires individuels. Une fois débarqués, les rapatriés passaient par le Service de l'immigration haïtienne et ils étaient interrogés par la police. Une fois interrogés, on les envoyait à la Croix-Rouge. L'interrogatoire avait lieu à haute voix et en public, devant les civils armés. On demandait à ceux qui rentraient pourquoi ils avaient quitté Haïti et ils étaient l'objet de brutalités verbales de la part de la police. Parfois, la police menaçait de les mettre en prison et de les tuer. La police et les civils armés travaillaient de concert, mais ce n'était pas facile de savoir lesquels, parmi les civils, étaient des soldats sans uniforme et lesquels étaient des membres du FRAPH.

         28.    Pierre Espérance a déclaré en outre ceci: les soldats n'aimaient pas les "boat people" parce que le fait qu'ils aient essayé de s'enfuir indiquait qu'il y avait de la répression en Haïti, et cela donnait une image négative de l'armée. Le véritable but des interrogatoires était d'identifier les personnes soupçonnées de réaliser des activités politiques. L'armée intimidait les réfugiés pour leur faire dire que le motif de leur départ était d'origine économique. Ceux qui ne déclaraient pas que leur fuite obéissait à des mobiles économiques ou qui restaient silencieux couraient un grave danger: celui d'être soupçonnés d'être des militants politiques et arrêtés. Les fonctionnaires américains étaient témoins des actes d'intimidation et ils ne faisaient rien pour les empêcher. La police obligeait également les rapatriés à déclarer à la radio et à la télévision nationale qu'ils s'étaient enfuis pour des raisons économiques.

         29.    Au cours de tous les derniers rapatriements, des personnes ont été arrêtées et incarcérées pendant des périodes pouvant aller jusqu'à deux semaines. Le 7 décembre, sur vingt-huit rapatriés, dix ont été arrêtés. Ils n'ont été remis en liberté qu'à la fin du mois. Le 10 décembre, sur 84 rapatriés, six ont été arrêtés. Plus récemment, le 4 février, sur 53 rapatriés, sept ont été arrêtés et ils sont toujours en prison.

         30.    Beauciault Wilman, 21 ans, était membre du Mouvement des jeunes d'Anse-à-Gonave (MJA). L'Organisation s'occupait d'éducation civique, d'alphabétisation et elle avait accroché les portraits du Président Aristide pendant la campagne électorale. Après le coup d'Etat de 1991, des membres du MJA ont été arrêtés et terrorisés. M. Wilman s'est caché en octobre 1991 et n'est retourné dans sa ville que le 10 novembre 1992. Ce jour-là, un soldat l'a arrêté chez lui et l'a emmené au poste de police. En route vers le poste de police, le soldat lui a dit qu'il avait été arrêté parce qu'il avait participé à des activités de propagande en faveur du Président Aristide pendant la campagne électorale. Le 12 novembre, un soldat qui connaissait M. Wilman et approuvait ses activités, l'a laissé s'échapper. M. Wilman s'est caché de nouveau. Le 18 novembre, il a trouvé une embarcation et il s'est enfui du pays.

         31.    Le 20 novembre, sa barque a été interceptée par les gardes-côtes des Etats-Unis. M. Wilman et d'autres passagers ont été renvoyés en Haïti sans avoir été entendus. Une fois rentrés, M. Wilman a réussi à éluder la police sur les quais et il s'est caché à nouveau. Le 10 septembre 1993, il est retourné dans sa ville. Le 18 octobre, un soldat en uniforme et trois civils dont on savait qu'ils avaient été des Tontons Macoutes l'ont arrêté chez lui. Ils lui ont dit: "enfin, tu es dans nos mains. Tu t'es sauvé et tu es revenu et aujourd'hui on aura ta peau". Un des civils l'a giflé à plusieurs reprises. Ensuite, ils l'ont emmené au poste de police principal. Là, il a été interrogé par un sergent à propos de "quand reviendra votre papa Aristide?" et "on a dit qu'il (Wilman) était revenu pour coller de nouvelles affiches d'Aristide". Ils lui lièrent les mains et les jambes ensemble en position accroupie et ils l'ont battu avec un long bâton pendant près de trente minutes. Ceci s'est déroulé en présence de soldats et d'attachés. Ensuite il est resté incarcéré pendant six jours. Sa soeur a réussi à le faire libérer en donnant 2.000 gourdes (US$ 160) au sergent. M. Wilman se cache depuis lors.

         32.    En outre, Pierre Espérance a déclaré que: M. Damier Cadichon, qui a 42 ans, est originaire de Marisade, mais il vivait à Port-au-Prince depuis huit ans. Il était membre d'un groupe d'observateurs à Delmas et il avait fait partie du Bureau d'inscription des votants (BIV) pendant les élections de 1990. Quelques jours après le coup d'Etat de 1991, un après-midi, trois soldats sont venus chez lui. Il s'est échappé par la porte de derrière avant qu'ils n'aient pu le trouver. Sa femme et ses six enfants sont restés dans la maison. Les soldats ont interrogé sa femme, ont fouillé la maison et ont saisi des papiers de l'organisation. Sa famille a dû partir de chez elle, par la suite. M. Cadichon est allé chez un cousin à Sartre, au nord de Port-au-Prince.

         33.    Dans l'après-midi du 27 novembre 1992, deux soldats sont arrivés chez son cousin et ont demandé où il était. Il n'était pas à la maison et les soldats sont repartis. Alors, il est allé se cacher à La Gonave. C'est de là qu'il est parti en barque, le 29 novembre. Le 30 novembre, son embarcation a été interceptée par les gardes-côtes des Etats-Unis et il a été renvoyé en Haïti le 5 décembre. Après son rapatriement, M. Cadichon a recommencé à se cacher. En mars 1993, il est retourné chez son cousin. C'est là que deux soldats l'ont trouvé dans l'après-midi du 12 mai 1993. Ils l'ont attaché et l'ont fait monter dans une camionnette Nissan. Ils l'ont emmené à la "Cafétéria" (poste de police de Port-au-Prince). Il y a été battu et torturé sans avoir été interrogé. Après tous les sévices, un lieutenant lui a formulé quelques questions au sujet de son affiliation politique. Le lieutenant lui a dit qu'il était un "Lavalas" et l'a mis en prison. Son cousin a réussi à le faire libérer en versant au lieutenant la somme de 2.500 gourdes (US$ 200). Depuis lors, M. Cadichon vit dans la clandestinité.

         34.    Ces deux exemples sont représentatifs de nombreux cas - pour lesquels on dispose de documents - de "boat people" rapatriés qui ont souffert de persécutions après leur retour en Haïti. Et pour un cas qui a fait l'objet d'une enquête, il y en a des dizaines pour lesquels on n'a pas de documents à l'appui, car beaucoup d'entre eux passent d'une cachette à l'autre.

         35.    Quant au traitement par les Etats-Unis en Haïti même des demandes pour obtenir la qualité de réfugié (ICP), ceux qui désiraient faire leur demande dans le cadre du programme doivent faire les mêmes démarches que les autres. Les refoulés, eux, recevaient les questionnaires dans les barques. La plupart d'entre eux ne savaient pas à qui était destiné le questionnaire ou qui pourrait le lire. C'est pourquoi, ils refusaient d'inclure dans les questionnaires des informations qui auraient pu représenter un danger pour eux. Les personnes qui déposaient leurs demandes au titre de l'ICP devaient se rendre à des adresses spécifiques que tout le monde connaissait. Ils devaient faire la queue, hors du bâtiment. Tout le monde connaissait le motif pour lequel ils se trouvaient là. Il était donc facile aux soldats de les identifier.

         36.    Pierre Espérance a déclaré ceci: les questionnaires étaient difficiles à remplir sans aide. Souvent, il n'y avait que 2 ou 3 personnes pour aider 200 demandeurs à remplir leurs questionnaires. Ces personnes parlaient à haute voix et étaient très indiscrètes. Avec autant de soldats en civil, cela était dangereux pour quelqu'un qui avait un véritable problème. Lui-même avait aidé plusieurs demandeurs qui s'étaient adressés au bureau de la NCHR. Des dizaines de demandeurs avec des dossiers très légitimes s'étaient vus refuser la qualité de réfugiés et avaient ensuite été arrêtés. Celor Josaphat en est un exemple.

         37.    M. Celor Josaphat est originaire de Pérodin et il était membre du Rassemblement des paysans de Pérodin (RPP), groupe engagé dans l'éducation civique et l'alphabétisation. Il a été arrêté en octobre 1991 par un chef de section, Edner Onel et un lieutenant. Ils ont mis le feu à sa maison. Il a été relâché, il s'est caché et a été arrêté de nouveau en novembre 1992. La deuxième fois, "le chef de section l'a tellement battu qu'il lui a cassé le bras". Sa femme a payé pour qu'il soit libéré. M. Josaphat est venu à son bureau en novembre 1992, avec son bras plâtré. Lui (M. Espérance) l'a aidé à présenter sa demande pour obtenir le statut de réfugié. Il a été entendu en décembre 1992 et on lui a refusé la qualité de réfugié. Il a présenté une demande en révision au début de l'année 1993 et elle a également été rejetée.

         38.    En septembre 1993, M. Josaphat est retourné dans son village. Il a été arrêté à nouveau le 7 novembre 1993 par le même chef de section, Edner Odel, qui lui avait cassé un bras. Le chef de section lui a cassé le bras, une deuxième fois. Après qu'il ait été relâché, il a présenté de nouveau une demande en révision, en y joignant tous les dossiers médicaux, et une nouvelle fois, sa demande a été rejetée[21]/. M. Espérance a déclaré en outre que son bureau avait réuni des documents au sujet de nombreux cas de personnes qui avaient fait une demande au titre du programme de traitement en Haïti de la demande pour obtenir la qualité de réfugié (ICP) aux Etats-Unis et qui avaient ensuite fait l'objet de persécutions pendant qu'elles attendaient une décision en l'espèce. Que M. Jean-Claude Tiofin a été l'un d'eux. Il a été arrêté en novembre 1993, lorsqu'il sortait de l'immeuble de l'ICP à Port-au-Prince. Il a été battu et maintenu en prison pendant plusieurs jours. M. Espérance a exprimé que, lui personnellement, croyait que le programme ne pouvait pas être le seul moyen de trouver un refuge dont disposaient les gens qui fuyaient la répression. Les  demandeurs risquent d'être identifiés par l'armée à toutes les étapes du processus. Il n'y a pas la moindre confidentialité dans le processus et les demandeurs d'asile courent un danger permanent.

         39.    Le 12 avril 1994, les requérants ont envoyé une lettre à la Commission. Ils lui faisaient parvenir, entre autres, deux coupures de journaux récentes, qui disaient la nécessité de trouver de toute urgence une solution définitive à la présente affaire. Le samedi 2 avril 1994, le New York Times a publié un article d'Howard W. French, intitulé "une vague de terreur politique qui va en augmentant fait des centaines de morts en Haïti". Voici un extrait de l'article qui affirme ceci: "Port-au-Prince (Haïti), le 31 mars - Des centaines de sympathisants du père Jean-Bertrand Aristide et d'autres civils ont été assassinés en Haïti ces derniers mois, dans le cadre de la vague de terreur politique la plus sanglante depuis que l'armée a chassé de la Présidence le père Aristide, il y a deux ans et demi. La violence s'est accrue progressivement cette année, et ce sont 50 cadavres et plus qui sont abandonnés, chaque mois, dans les rues de cette ville. Beaucoup sont sauvagement mutilés ou présentent des signes évidents de torture. Les diplomates ont dit que la campagne, destinée à mettre fin à la résistance au régime militaire, emploie des techniques nouvelles en Haïti, telles que l'incendie de quartiers entiers pour terroriser les suspects et le viol et l'enlèvement des femmes et des enfants des meneurs politiques recherchés par les autorités".

         40.    L'article indiquait par ailleurs que "ces derniers mois, chaque fois que les gardes-côtes des Etats-Unis ont refoulé des "boat people" qui s'étaient enfuis d'Haïti, des agents en civil ont fait sortir les refoulés de la queue où ils attendaient que la Croix-Rouge s'occupe d'eux et ils les ont emmenés au loin pour les incarcérer. Le cadavre défiguré d'un refoulé, Yvon Desanges, a été retrouvé récemment près de l'aéroport. On lui avait arraché les yeux, il avait une corde autour du cou, ses mains étaient liées et sur un mouchoir rouge était écrit en lettres maladroites "Président de l'armée rouge". Les avocats des réfugiés signalent que dans l'affaire Desanges il semble s'agir d'une erreur administrative commise par les autorités américaines, qui disent avoir autorisé son entrée sur le territoire des Etats-Unis pour qu'il y présente une demande d'asile politique avant son refoulement en Haïti".

         41.    L'article indiquait aussi que: "Mardi, un agent haïtien s'est approché d'un refoulé qui avait échangé quelques mots avec un officier des gardes-côtes et il lui a enfoncé profondément deux de ses doigts dans un oeil, au vu des observateurs. Dans une attitude de plus en plus agressive et provocatrice, les autorités haïtiennes ont interdit récemment aux diplomates de rendre visite aux détenus et ils ont permis à titre exceptionnel aux journalistes de se trouver dans l'enceinte du port pour assister au retour des réfugiés. Ronald Joseph, un pasteur évangéliste âgé de 28 ans, qui a été caché, tout comme Joseph Y., par des étrangers, conserve la lettre-type par laquelle l'asile politique lui a été refusé, parce que 'faisait défaut une crainte légitime de persécutions'. La lettre se trouve dans un paquet qui contient également les photos des cadavres d'adeptes et de sympathisants de sa religion tués par balle, qui, d'après ses dires, ont été assassinés au cours des deux années où il a été poursuivi par l'armée. 'La seule chose que j'ai faite a été de prendre des notes sur la manière dont les gens étaient arrêtés' dit-il pour décrire le travail informel de défense des droits de l'homme qu'il a accompli de lui-même depuis le coup d'Etat contre le Président Aristide, en 1991. Son expérience postérieure inclut l'assassinat de sa mère; des militaires en civil ont tiré sur elle parce qu'ils ne sont pas parvenus à le trouver, lui".

         42.    De surplus, le 26 avril 1994, les requérants ont envoyé une lettre à la Commission pour lui demander instamment, au regard de la dégradation croissante de la situation des droits de l'homme en Haïti et des rapports qui retracent en permanence les sévices exercés contre les Haïtiens renvoyés de force par le Gouvernement des Etats-Unis sans leur accorder un entretien à propos de leur asile politique, de statuer en l'espèce dans les plus brefs délais. Ils ont joint à ladite lettre un câble non confidentiel du Département d'Etat des Etats-Unis, daté de septembre 1993, intitulé "Rapatriement du 22 septembre".

         43.    Une synthèse dudit câble signale ceci: "Le 22 septembre, sont arrivés à Port-au-Prince un total de 297 refoulés, ce qui constitue le groupe le plus nombreux depuis novembre 1992. Toutes les personnes refoulées ont reçu dans l'embarcation les formulaires pour demander la qualité de réfugié et elles ont été encouragées à remplir leurs demandes pendant la traversée, avec l'aide de l'interprète et de la cassette d'instruction. Des REF OFFS américains sont montés à bord de l'embarcation à Port-au-Prince, ils ont expliqué en quoi consistait le programme, ils ont révisé les demandes et ont accordé aux demandeurs des rendez-vous bénéficiant de priorité dans les centres de traitement des demandes pour obtenir la qualité de réfugiés. La Police des frontières a interrogé les refoulés, comme c'est l'habitude, elle a inspecté leurs bagages et elle a pris leurs empreintes digitales. D'emblée, ils ont arrêté quinze hommes, mais finalement ils ont eu pitié et n'en ont emmené que neuf au commissariat de police. Bien que le but évident de l'interrogatoire ait été de déterminer qui étaient les organisateurs de la traversée, les questions posées (à ceux qui n'ont pas été arrêtés) au cours de l'entretien avec les fonctionnaires de l'Ambassade américaine (EMBOFFs) et les représentants de la Mission civile internationale paraissaient être une partie de chasse à la recherche des fauteurs de troubles de la part de la police, conçue probablement pour intimider ceux qui rentraient (souligné par les auteurs).

         44.    Le câble affirme, d'autre part, que 64.832 personnes ont été rapatriées dans le cadre du programme Amio. 31.995 l'ont été depuis le départ du Président Aristide. 6.899 ont été rapatriées au titre du décret édicté par le pouvoir exécutif.

         45.    Les requérants ont affirmé dans leur lettre que: "Le câble ne fait pas référence au sort encouru par les neuf hommes qui ont été arrêtés pour être interrogés, mais il confirme que le Gouvernement des Etats-Unis a rapatrié des milliers d'Haïtiens en vertu du décret du pouvoir exécutif, sans leur accorder un entretien de demande d'asile".

         46. Le 4 mai 1994, le Gouvernement des Etats-Unis a envoyé sa réponse à propos du bien fondé de la requête. En résumé, il y exprimait que: " nous considérons que la plainte ne prouve aucune violation de la Déclaration américaine. Qui plus est, les Etats-Unis estiment que le programme d'interception est une démarche saine pour faire face à l'immigration clandestine des Haïtiens à travers la mer. La politique des Etats-Unis est une réponse légale et humaine à l'immigration clandestine et à la tragédie en puissance qui menace les Haïtiens qui risquent leur vie en mer. Les Etats-Unis considèrent que la politique du traitement dans le pays d'origine des demandes faites par les personnes qui veulent obtenir la qualité de réfugiés, conjuguée au rapatriement direct des Haïtiens qui risquent leur vie en mer, constitue un juste milieu entre l'application des lois des Etats-Unis relatives à l'immigration, qui octroient le statut de réfugiés à ceux qui qualifient selon les paramètres internationaux et la volonté d'éviter la perte de vies humaines en haute mer. C'est pourquoi, nous demandons respectueusement à la Commission de déclarer que cette requête ne prouve aucune violation de la Déclaration américaine".

         47.    Le 26 septembre 1994, lors de sa 87ème Session, la Commission a examiné cette affaire et elle a demandé aux parties de présenter des arguments juridiques à propos de l'application des articles pertinents de la Déclaration américaine ayant trait aux faits de ladite affaire. La Commission leur a demandé ceci:

a.      Article I: à propos du droit à la sécurité de la personne, quel est le contenu de "sécurité" dans le contexte de la Déclaration américaine et son application en l'espèce, fondée sur les faits dont se prévaut chacune des parties pour appuyer ses arguments.

b.      Article II: son contenu et son application en l'espèce, fondée sur les faits dont se prévaut chacune des parties pour appuyer ses arguments.

c.      Article XVII: son contenu et son application en l'espèce, fondée sur les faits dont se prévaut chacune des parties pour appuyer ses arguments.

d.      Article XVIII: son contenu et son application en l'espèce, fondée sur les faits dont se prévaut chacune des parties pour appuyer ses arguments.

e.      Article XXIV: la rédaction de la phrase "introduire des recours auprès des autorités compétentes" pour établir une différence avec le droit à recourir aux tribunaux visé à l'article XVIII: la situation pertinente, fondée sur les faits, dont se prévaut chacune des parties pour appuyer ses arguments. 

f.      Article XXVII: l'interprétation qu'il faut donner au droit d'asile, et en particulier à la phrase "conformément à la lé­gislation de chaque pays et aux accords internationaux"; la situation factuelle pertinente dépend des arguments qu'invoque chacune des parties pour défendre sa position.

         48.    Le 19 janvier 1995, le Gouvernement des Etats-Unis a présenté sa réponse à la demande de la Commission datée du 26 septembre 1994. Il a indiqué dans celle-ci qu'il souhaitait qu'on lui permette de répondre à toute allégation que pourraient faire les requérants dans leur réponse à la demande de la Commission. Le 3 février, la Commission a reçu la réponse des requérants. Le 17 février 1995, la Commission a transmis les réponses de chaque partie à l'autre partie et elle leur a demandé de lui faire parvenir leurs observations et commentaires dans les 30 jours. Aucune des parties n'a répondu.

         49.    Le 13 septembre 1995, lors de sa 90ème Session, la Commission a adopté un rapport provisoire qu'elle a envoyé au Gouvernement des Etats-Unis, conformément à son règlement interne. Le 28 décembre 1995, le Gouvernement des Etats-Unis a demandé à la Commission de réexaminer sa décision provisoire, en application de l'article 54 de son règlement. Lors de sa 91ème Session, la Commission a examiné le recours en révision présenté par le Gouvernement des Etats-Unis et elle a décidé de transmettre les arguments cités par le Gouvernement des Etats-Unis dans son recours en révision aux requérants, en application de l'article 54 de son règlement. Les requérants ont répondu audit recours le 11 septembre 1996.

V.      ECRITS PRESENTES PAR LES PARTIES

         50.    Le Gouvernement des Etats-Unis a présenté différents écrits pour répondre aux arguments des requérants, y compris des arguments sur la non recevabilité de la requête.[22]/ De surplus, il a envoyé une réponse détaillée à propos du bien fondé de la requête et il a allégué les points suivants[23]/:

         REPONSE DES ETATS-UNIS A PROPOS DU BIEN FONDE DE LA REQUETE

         51.    Les Etats-Unis considèrent que ce programme est en harmonie avec les paramètres des droits de l'homme de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme et qu'il s'agit d'un exercice adéquat du droit de souveraineté des Etats-Unis destiné à empêcher l'immigration clandestine vers les Etats-Unis.[24]/ Attendu qu'aucun autre pays de la région ne s'est montré disposé à accepter le nombre considérable d'Haïtiens qui s'enfuyaient par la mer, les seules options applicables en l'espèce sont de les renvoyer dans leur pays ou de les admettre aux Etats-Unis. Toutefois, ni les Etats-Unis ni une autre nation n'ont le devoir légal d'accepter sur leur territoire tous les Haïtiens qui s'enfuient de leur pays, pas même ceux dont les demandes d'asile sont légitimes. Etant fermement persuadés que s'ils emmenaient aux Etats-Unis tous les Haïtiens qui ont été interceptés cela pourrait encourager un afflux massif et dangereux de réfugiés, les Etats-Unis ont choisi de refouler les Haïtiens vers Haïti. Cependant, les Etats-Unis ont déployé des efforts considérables afin de permettre aux ressortissants haïtiens de pouvoir chercher refuge par l'intermédiaire du programme de traitement des demandes en Haïti même, ce qui constitue une alternative dépourvue de risques aux traversées en barque.

         52.    Le point qu'il faut examiner ici n'est pas de savoir s'il y a des violations des droits de l'homme en Haïti. A tous les égards, Haïti endure de graves violations des droits de l'homme sous la dictature des militaires qui a débuté avec le coup d'Etat du 30 septembre 1991, lequel a renversé le Gouvernement de Jean-Bertrand Aristide, élu démocratiquement.[25]/  En revanche, le point qui doit être examiné en l'espèce est de savoir si l'action des Etats-Unis, qui consiste à intercepter en haute mer les ressortissants haïtiens et à les rapatrier vers Haïti, viole les articles I (droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne), II (droit à l'égalité devant la loi), XVII (droit à la reconnaissance de la personnalité juridique et des droits civils), XVIII (droit à la justice), XXIV (droit de pétition) ou XXVII (droit d'asile) de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme.

         53.    L'action des Etats-Unis est en harmonie avec ces dispositions de la Déclaration américaine et constitue, en outre, une démarche saine face à l'immigration clandestine d'Haïtiens à travers la mer. La politique des Etats-Unis est un moyen légal et humain de lutter contre l'immigration clandestine par mer, phénomène qui acquiert encore plus d'importance à cause des risques graves que court la vie des personnes pendant la traversée. Les Etats-Unis estiment que la politique de traitement des demandes pour obtenir la qualité de réfugiés en Haïti même, associée au rapatriement direct des Haïtiens qui mettent leur vie en danger en haute mer, représente un juste milieu entre l'application des lois d'immigration des Etats-Unis, qui octroient le statut de réfugiés à ceux qui remplissent les conditions pour l'obtenir conformément aux paramètres internationaux et les mesures destinées à éviter la perte de vies humaines en haute mer.[26]/  Bien que le programme d'interception ait été institué en 1981 comme l'une des composantes d'une initiative visant à stopper l'entrée illégale d'immigrants clandestins aux Etats-Unis par la mer, ce programme a contribué à sauver des dizaines de milliers d'Haïtiens qui ont quitté Haïti sur des embarcations de fortune pour se lancer dans une traversée longue et dangereuse à destination des Etats-Unis.

         54.    Les Etats-Unis réfutent, dans les termes les plus énergiques possibles, la suggestion des requérants selon laquelle l'interception des Haïtiens par les Etats-Unis leur a fait courir un risque supplémentaire. Au contraire, si ce n'était les efforts des gardes-côtes des Etats-Unis, beaucoup plus d'Haïtiens auraient perdu la vie en mer. Pourtant, malgré ces efforts, des données conservatrices estiment que, depuis décembre 1982, 435 Haïtiens se sont noyés pendant la traversée à destination des Etats-Unis. Suspendre l'interception équivaudrait à adopter une politique encourageant l'exode des Haïtiens vers les côtes américaines, avec le risque en puissance que de nombreuses personnes n'y  laissent leur vie. Dans l'ensemble, les Etats-Unis ont fait bien plus, en termes de ressources humaines et financières affectées aux réfugiés haïtiens, que n'importe quel autre gouvernement. Ces efforts sont en parfaite harmonie avec les paramètres relatifs aux droits de l'homme consacrés dans la Déclaration américaine.

         55.    En l'espèce, l'accusation que les requérants imputent dans leur plainte au Gouvernement des Etats-Unis c'est que de nombreux Haïtiens qui ont été interceptés avaient la crainte légitime d'être l'objet de persécutions s'ils rentraient en Haïti, pourtant on leur a refusé une instance et des procédures adéquates pour l'examen de leurs demandes, ce qui constitue une violation des obligations du Gouvernement américain envers les réfugiés. Initialement, les dénonciations des requérants portaient sur la procédure peu appropriée qu'utilisaient les Etats-Unis pour mener les enquêtes. Désormais, soi-disant, les dénonciations des requérants se fondent sur l'absence de procédures de ce type pour déterminer quels sont les Haïtiens ayant fait l'objet d'une interception qui ne devraient pas être renvoyés dans leur pays d'origine.[27]/

         56.    Le Gouvernement des Etats-Unis ne conteste pas que les requérants observent les conditions prévues à l'article 26 du règlement de la Commission, relatif à la présentation des requêtes.[28]/  Diverses dénonciations apparaissent au fil des différents écrits des requérants, attendu que la plainte initiale déposée en 1990 fait référence à des situations de fait qui n'existent plus actuellement. Le Gouvernement des Etats-Unis espère que la Commission tranchera, conformément au paragraphe (c) de l'article 35 de son règlement, relatif aux questions préliminaires, que, étant donné que les fondements concrets de la requête n'existent plus, par voie de conséquence, lesdits éléments de l'affaire sont classés.

         57.    D'après ce qu'indique la note du Gouvernement des Etats-Unis datée du 10 février 1993, les dénonciations des requérants à propos de la modification de la procédure d'enquête pour les Haïtiens ayant fait l'objet d'une interception, procédure qui avait lieu à bord des embarcations des gardes-côtes des Etats-Unis dans les installations de la Base navale de la Baie de Guantanamo à Cuba, sont contestables, attendu qu'actuellement l'enquête ne se fait plus à bord des embarcations des gardes-côtes dans la Baie de Guantanamo, et qu'il en est ainsi depuis le printemps 1992. Le programme du Gouvernement des Etats-Unis en ce qui concerne l'enquête menée auprès des Haïtiens ayant fait l'objet d'une interception en haute mer afin de déterminer ceux qui sont susceptibles de bénéficier de l'asile, programme qui était en vigueur depuis 1981, conformément à la proclamation présidentielle nº 4865 du 29 septembre 1981 et au décret du pouvoir exécutif nº 12324, a été suspendu le 24 mai 1992 et il a été remplacé par le rapatriement direct des Haïtiens interceptés, conformément au décret du pouvoir exécutif nº 12807 (qui a remplacé le précédent décret).

         58.    C'est pourquoi, les Etats-Unis considèrent que la Commission ne doit pas tenir compte de la modification du programme d'enquête, puisque celui-ci n'existe plus et que cela représenterait une perte de temps et de ressources pour la Commission, car c'est une question dépassée et qui n'admet pas de décision pratique. Le Gouvernement des Etats-Unis ne prévoit pas actuellement de remettre en vigueur cette modalité d'enquête, mais s'il la rétablissait avant que ne soit prise une décision définitive à propos de la présente requête, il en informerait la Commission et il se réserve le droit de présenter ses arguments à l'encontre de toute plainte des requérants dans ce sens avant que la Commission ne prenne des mesures en l'espèce.

         59.    De manière similaire, les dénonciations des requérants à propos des conditions de vie des Haïtiens qui se trouvaient encore dans les installations de la Base navale des Etats-Unis dans la Baie de Guantanamo à Cuba, sont, elles aussi, contestables, attendu que le réfuge temporaire qui y avait été installé pour loger les Haïtiens ayant fait l'objet d'une interception a été fermé en juin 1993 et tous les Haïtiens qui s'y trouvaient à ce moment-là ont été conduits aux Etats-Unis pour y présenter leurs demandes d'asile. Conformément au paragraphe (c) de l'article 35 du règlement de la Commission, attendu que les dénonciations portant sur les conditions de vie des Haïtiens dans la Baie de Guantanamo n'existent plus, cet aspect de la plainte doit être considéré comme classé, conformément à l'application de la norme qui régit en l'espèce. Pour ce qui est des Haïtiens ayant fait l'objet d'une interception, les Etats-Unis estiment que ces questions ne doivent pas être examinées par la Commission. Les Etats-Unis n'ont pas l'intention de rétablir des installations destinées aux immigrants à Guantanamo. Si une modification de cette situation se produisait avant qu'une décision définitive ne soit prise à propos de la présente affaire, les Etats-Unis en informeraient, évidemment, la Commission, et par conséquent, ils se réservent le droit de présenter leurs arguments sur ce point s'il devient pertinent avant qu'une décision définitive n'intervienne à propos de la présente plainte.[29]/

         60.    Comme c'est le cas pour les ressortissants de n'importe quel autre pays, les Haïtiens qui sont entrés aux Etats-Unis ou qui se sont présentés à un poste frontière ou à un port d'entrée, peuvent réclamer asile et la protection qui découle de la suspension de la déportation, conformément à la Loi portant règlement de l'immigration et de la nationalité, décrite ci-dessus. Contrairement à ce que soutiennent les requérants, aucun Haïtien n'est refoulé ou déporté des Etats-Unis avant que l'on ait examiné de manière exhaustive et juste ses caractéristiques de réfugié. Il bénéficie de cette possibilité ainsi que d'une série de garanties procédurières, et notamment de pouvoir se faire représenter par un avocat et de demander que son cas soit révisé par les tribunaux judiciaires et administratifs, ce qui garantit doublement que le processus d'enquête donne satisfaction.

         61.    Les Haïtiens ont également la possibilité de présenter leurs demandes pour obtenir la qualité de réfugiés quand ils se trouvent encore dans leur pays d'origine. Le Gouvernement des Etats-Unis a institué un programme de traitement des demandes d'asile en Haïti même, ce qui permet aux Haïtiens de demander le statut de réfugiés et leur réinstallation aux Etats-Unis sans avoir à risquer leur vie dans une traversée longue et dangereuse. A l'inverse de ce qu'allèguent les requérants, les Haïtiens dont la demande d'asile est légitime ont des possibilités considérables de présenter leur demande par l'entremise du programme de traitement des demandes d'asile dans leur pays d'origine, institué par les Etats-Unis. Grâce à cette procédure, environ trois mille Haïtiens se sont vus reconnaître le statut de réfugiés.

         62.    Jusqu'au 22 avril 1994, les Etats-Unis avaient reçu un total de 55.694 formulaires préliminaires de demande d'asile dans les trois centres qui avaient été destinés à cette procédure. Sur cette quantité, 13.129 dossiers, représentant 15.293 personnes, ont fait l'objet d'interrogatoires par le Service de l'immigration et de la naturalisation en vue d'une possible admission en qualité de réfugiés. Sur ce total, 2.937 personnes se sont vues reconnaître le statut de réfugiés aux Etats-Unis et plus de 2.200 ont quitté Haïti à destination des Etats-Unis. Il faut ajouter à ce chiffre les quelques 10.500 Haïtiens envoyés sur parole aux Etats-Unis pour y présenter leurs demandes d'asile, à la suite des enquêtes préliminaires qui avaient lieu à bord des embarcations des gardes-côtes dans la Base navale de la Baie de Guantanamo. Il est évident qu'il faut y ajouter aussi le nombre considérable d'Haïtiens qui émigrent clandestinement, chaque année, aux Etats-Unis.

         63.    Rien qu'en 1991, les Etats-Unis ont accueilli 12.336 nouveaux Haïtiens en provenance d'Haïti, auxquels il faut ajouter 35.191 Haïtiens qui ont régularisé leur situation dans le cadre de la Loi de réforme et de contrôle de l'immigration. Pendant les onze ans qui se sont écoulés de 1981 à 1991, plus de 185.000 Haïtiens ont obtenu l'autorisation de résider en permanence aux Etats-Unis. Le nombre de ressortissants haïtiens à qui a été octroyé l'autorisation de résider de manière permanente aux Etats-Unis est supérieur à celui de n'importe quel autre pays, à l'exception du Mexique, des Philippines, de l'ancienne Union soviétique et du Vietnam. En fait, à la fin de 1992, si l'on considère le nombre d'immigrants admis aux Etats-Unis en comparaison avec la population de leur pays d'origine, Haïti occupe la cinquième place (derrière la Jamaïque, El Salvador, le Laos et la République dominicaine).

         64.    Le traitement en Haïti des demandes d'asile pour les Etats-Unis a débuté en février 1992. Il s'agit d'un programme qui est actuellement en place dans trois autres pays à travers le monde (Cuba, le Vietnam et la Russie). Lorsque le programme de traitement des demandes d'asile dans le pays d'origine a commencé, en février 1992, les conditions d'ouverture du droit se limitaient aux personnes, qui, en raison de leur profession ou de leur affiliation politique, étaient des cibles probables de persécution. En mai 1992, lorsque les Etats-Unis ont adopté la politique de rapatriement direct, le programme a été étendu à tout Haïtien qui souhaitait présenter une demande. A cette époque, a été adopté un système de catégories permettant d'étudier les dossiers en fonction de leur priorité. Conformément à ce qui avait été demandé par les requérants, de nouveaux centres de traitement ont été ouverts: aux Cayes, au Sud d'Haïti, en avril 1992, et un autre à Cap Haïtien, au Nord, en mai 1993.

         65.    Ces centres ont permis aux Haïtiens des zones rurales qui ne peuvent se rendre à Port-au-Prince d'avoir accès au programme. Ils fonctionnent grâce à la collaboration d'organisations de volontaires américains (la World Relief et la Conférence catholique des Etats-Unis, respectivement). Ces organisations aident, entre autres, les demandeurs à préparer les dossiers qu'ils soumettent à la considération des décideurs du Service d'immigration et de naturalisation. Une fonction similaire est accomplie par l'Organisation internationale pour les migrations, à son siège de Port-au-Prince. Le nombre de personnes qui travaillent au traitement des demandes d'asile oscille entre 45 et 60, selon les besoins, et elles appartiennent à l'Ambassade des Etats-Unis, à l'INS et à l'Organisation internationale pour les migrations.[30]/

         66.    Les requérants ont dénoncé des violations de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme, de la Convention américaine relative aux droits de l'homme ainsi que d'autres instruments et principes relatifs aux droits de l'homme. Attendu que les Etats-Unis ne sont pas partie à la Convention américaine, la Commission doit examiner la Déclaration américaine pour les paramètres pertinents dans le cadre des dispositions des articles 1(2)(b) et 20(a) de ses statuts et des articles 26 et 51 de son règlement. A cet égard, les Etats-Unis rejette la prétention des requérants qui allèguent que la Déclaration américaine a acquis force de loi et est de nature contraignante pour les Etats-Unis en vertu du fait qu'ils sont membres de l'OEA et qu'ils ont ratifié la Charte de ladite Organisation. Attendu que les Etats-Unis l'ont signalé au préalable, la Déclaration américaine n'est pas un traité, elle n'a pas acquis force de loi et elle n'a pas un caractère contraignant.

         67.    Telle est la position des Etats-Unis sans préjudice de la décision de la Commission dans l'affaire 2141 (Etats-Unis), RES. 23/81, OEA/Ser.L/V/II.51, doc.48, 6 mars 1981, de sa décision dans l'affaire 9647 (Etats-Unis), RES. 3/87, OEA/Ser.L/V/II.71, doc.9, rev. 1, 27 mars 1987 et de l'Avis consultatif de la Cour interaméricaine des droits de l'homme OC-10/89 (Colombie) du 14 juillet 1989. D'après la Charte de l'OEA, la Commission a la responsabilité de promouvoir l'application et le respect des paramètres et principes établis dans la Déclaration et elle a compétence pour le faire. Les Etats-Unis ont prouvé à tous moments qu'ils respectaient et appuyait la Commission à cet égard, et notamment, en répondant aux requêtes présentées contre eux qui sont fondées sur la Déclaration. Mais ainsi que les Etats-Unis l'ont déclaré, en demandant que cela soit consigné, à l'Assemblée générale de l'OEA qui s'est tenue après l'Avis consultatif de la Cour:

         Les Etats-Unis reconnaissent et soutiennent l'importance de la Déclaration américaine. Il s'agit d'un engagement solennel moral et politique des ETATS MEMBRES DE L'OEA, à partir duquel il faut évaluer et contrôler le respect démontré par chaque Etat Membre, et notamment les politiques et les pratiques des Etats-Unis ... Cependant, les Etats-Unis ne considèrent pas que la Déclaration américaine ait un caractère contraignant, comme ce serait le cas pour un traité international.

         Déclaration du Vice-Conseiller juridique Alan J. Kreczko devant la première Commission de la dix-neuvième Assemblée générale de l'OEA, qui s'est tenue à Washington, D.C., le 14 novembre 1989, page 3, ainsi que l'exposé écrit fait par les Etats-Unis à la Cour à propos de la demande d'Avis consultatif.

         68.    Les Etats-Unis estiment que les paramètres contraignants statutaires et conventionnels de la loi des Etats-Unis qui ont servi de fondement aux Haïtiens ayant fait l'objet d'une interception, aux groupes d'avocats qui les représentent et aux parties concernées dans la présente affaire pour faire valoir et défendre leurs requêtes devant les tribunaux des Etats-Unis, y compris la Cour suprême de justice, sont pleinement conformes aux principes établis dans la Déclaration américaine. Les Etats-Unis réfutent que le programme d'interception et de rapatriement prive les Haïtiens concernés de leur droit à la vie, de leur droit à l'égalité devant la loi, de leur droit à la reconnaissance de la personnalité juridique et des droits civils, de leur droit à la justice, de leur droit de pétition et de leur droit à chercher et à recevoir asile, ainsi qu'ils sont consacrés aux articles I, II, XVII, XVIII, XXIV et XXVII de la Déclaration américaine.

         69.    Les requérants allèguent que le programme d'interception viole l'article I (protection du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne), II (droit à l'égalité devant la loi), XVII (droit à la reconnaissance de la personnalité juridique et des droits civils), XVIII (droit à un jugement impartial), XXIV (droit de pétition) et XXVII (droit d'asile), attendu que les dénonciations des "boat people" ne peuvent être faites ni évaluées de manière efficace alors qu'ils sont épuisés, affamés, malades, de mauvaise humeur, apeurés, désinformés et sans conseiller juridique, en pleine mer. Ainsi qu'il a été dit auparavant, plus aucune enquête n'est réalisée dans les embarcations des gardes-côtes en haute mer. Le suivi assuré à travers le traitement des demandes d'asile en Haïti n'est pas entaché des mêmes déficiences, pas même en puissance. Les Haïtiens peuvent recourir au traitement des demandes dans leur pays d'origine quand ils le désirent.

         70.    Les Etats-Unis indiquent qu'il est amplement reconnu que le droit à chercher asile n'impose pas aux Etats l'obligation de garantir celui-ci à un individu en particulier ni de permettre l'entrée sur son territoire de tout étranger qui déposerait une demande d'asile. Voir, par exemple, A. Grahl-Madsen, Le statut des réfugiés dans le droit international, pages 79 à 107 (1972). Il est évident que, en ce qui concerne les ressortissants haïtiens, aucun autre pays du continent n'était en mesure de donner asile au nombre considérable d'Haïtiens qui cherchaient asile, même sur une base simplement temporaire. C'est pourquoi, le Gouvernement des Etats-Unis n'est pas obligé de permettre aux ressortissants haïtiens d'entrer aux Etats-Unis pour qu'ils puissent y présenter leurs demandes d'asile. Le "droit d'asile" qui est réglementé ici est limité délibérément par l'expression qualifiée "conformément aux lois de chaque pays et aux accords internationaux".

         71.    Ce point de vue correspond au fait, lequel a été souligné pendant les négociations qui ont suivi la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés de 1951, que le droit à chercher asile n'équivaut pas à une obligation analogue des Etats de garantir cet asile à un individu quelconque. Il a été reconnu à cette occasion et cela l'est encore actuellement que la lutte contre l'immigration clandestine est un attribut fondamental de la souveraineté de l'Etat, prérogative dont les Etats ne sont pas disposés à se dessaisir. La limitation la plus importante que les Etats sont convenus d'accepter est l'obligation prévue à l'article 33 de la Convention relative aux réfugiés, celle de non-refoulement, qui protège le réfugié contre le renvoi dans un lieu où il est l'objet de persécutions. Il s'agit d'une obligation limitée, qui s'applique seulement dans le cas de réfugiés qui sont arrivés sur le territoire d'un Etat partie à la Convention et ne s'applique pas aux personnes ayant fait l'objet d'une interception en haute mer. En outre, cette obligation n'interdît pas à un Etat partie d'envoyer un réfugié vers un autre endroit, différent du pays où il allègue être l'objet de persécutions.

         72.    Ce n'est pas un hasard si la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 n'oblige pas les Etats à octroyer l'asile. La référence la plus spécifique figure dans la recommandation "D" de la Loi finale de la Conférence des plénipotentiaires, qui ne fait pas partie, en soi, de la Convention. Cette recommandation demande instamment aux Etats de continuer à accueillir les réfugiés, afin qu'ils puissent trouver asile et un endroit où résider. Cette limitation a été confirmée dans les initiatives postérieures visant à remplacer la Convention relative au statut des réfugiés par une Convention relative à l'asile territorial, mais qui ont échoué. Non seulement les Etats-Unis n'ont pas empêché les Haïtiens de chercher asile n'importe où, en dehors d'Haïti (par exemple, en République dominicaine ou dans d'autres pays de la région) mais encore ils ont affecté des moyens considérables afin de garantir aux Haïtiens le droit à chercher asile aux Etats-Unis. Les Haïtiens qui se trouvent aux Etats-Unis ont pleinement accès à solliciter asile dans ce pays et à la suspension des procédures de déportation et les Haïtiens qui se trouvent en Haïti ont pleinement accès au programme de traitement des demandes d'asile dans le pays d'origine.

         73.    Les Etats-Unis ont révisé et amélioré constamment ces procédures dans le pays d'origine, par l'intermédiaire de consultations avec des organisations, comme celles des requérants, qui agissent au nom des réfugiés haïtiens, afin d'étudier le plus rapidement possible les demandes d'asile de bonne foi. Aucun autre pays n'a mis à la disposition des Haïtiens des facilités aussi vastes pour le dépôt d'une demande d'asile. Les pétitions adressées par les Etats-Unis aux autres pays de la région afin qu'ils fassent de même, n'ont pas eu de succès. La pétition des requérants demandant que, avant que les Haïtiens ne soient rapatriés, ils puissent faire appel à un pays tiers, a été une alternative que les Etats-Unis ont cherché à concrétiser mais sans succès.

         74.    Les requérants allèguent que les Etats-Unis sont obligés de s'abstenir de réaliser des actes susceptibles de frustrer l'objet et le but de la Convention américaine, attendu que les Etats-Unis l'ont signée (mais ne l'ont pas ratifiée). D'après les requérants, cette obligation est complétée par l'obligation qu'établit le droit international coutumier, laquelle est reconnue à l'article 18 de la Convention de Vienne relative au droit des traités, Doc. ONU A/CONF. 39/27 (1969), 1155 UNTS 331. Cependant, l'obligation de s'abstenir de réaliser des actes susceptibles de frustrer l'objet et le but d'un traité qui a été signé n'a rien à voir en l'espèce. Les actes interdits aux termes de cette disposition sont ceux qui rendraient l'application du traité inutile. Les actes dénoncés dans la présente affaire n'ont pas, pas même en principe, cette caractéristique.

         75.    Sans préjudice de ce qui précède, les actions des Etats-Unis sont totalement en harmonie avec l'objet et le but de la Convention américaine. Contrairement aux affirmations des requérants, non seulement les Etats-Unis n'empêchent pas les Haïtiens de quitter Haïti [article 22(2)], par exemple en traversant la frontière terrestre qui les séparent de la République dominicaine, mais encore ils mettent à leur disposition des moyens sûrs et effectifs pour quitter leur propre pays ainsi que pour chercher [article 22(7)] et recevoir asile aux Etats-Unis. Bien que cela ne soit pas applicable dans la présente situation, bien loin de recevoir un traitement injuste (article 24) les Haïtiens bénéficient d'un avantage qui n'est généralement pas accordé aux ressortissants des autres pays: on leur a accordé la possibilité que leurs demandes d'asile soient traitées dans leur propre pays. Ainsi que cela a été indiqué auparavant, ce programme s'ajoute, évidemment, aux possibilités dont disposent déjà les Haïtiens pour arriver aux Etats-Unis par les voies de l'immigration  régulière.

         76.    Le règlement de la Commission ne prévoit pas la présentation de pétitions fondées sur des violations présumées d'autres instruments ou principes légaux -- la Charte des Nations Unies, la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés de 1951 et son Protocole de 1967, la Déclaration universelle des droits de l'homme et le droit international coutumier -- en sont tous exclus. Que les Etats-Unis respectent ou non leurs obligations au titre de ces instruments, il s'agit là de quelque chose qu'il n'incombe pas à la Commission de décider. Il faut signaler à cet égard qu'aucun des Etats parties à la Convention sur les réfugiés -- y compris la dernière session du Comité directeur du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, qui s'est tenue après que la Cour suprême fédérale ait rendu sa décision selon laquelle l'obligation de non-refoulement visée à l'article 33 ne s'applique pas aux Haïtiens ayant fait l'objet d'une interception en haute mer -- n'a exprimé d'objection à propos de l'interprétation que font les Etats-Unis de leur obligation conventionnelle, telle qu'elle s'applique en l'espèce. Aucun autre pays de la région semble avoir fait sien le point de vue selon lequel il est obligatoire de laisser entrer les réfugiés haïtiens dans ledit pays.

         77.    Les requérants allèguent également sans aucun fondement que les Etats-Unis ont violé le droit international coutumier. Pour qu'une norme coutumière soit en vigueur il faut la preuve d'une pratique étatique "étendue et virtuellement uniforme", North Continental Shelf Cases (W. Ger contre Den; W. Ger contre Neth), 196, ICJ 3, 43 et non simplement des déclarations rhétoriques à propos des principes qui doivent être adoptés comme idéals. Jean contre Nelson, 727 F. 2d., page 964 n.4; 7 Encyclopédie de Droit international public, pages 62 et 63 (1984). Il ne suffit pas que certaines déclarations internationales soient conformes à une règle générale, pour qu'une coutume acquière la dimension d'une obligation juridique, elle doit être le résultat de la répétition d'actes accomplis par l'ensemble des Etats. A l'exception de leur affirmation, qui est dénuée de fondement, les requérants n'ont pas apporté de preuve permettant de suggérer l'existence de cette pratique généralisée et uniforme en ce qui concerne l'obligation des Etats d'accepter des réfugiés se trouvant hors de leurs frontières.

         78.    Pour se convertir en une norme coutumière, la pratique étatique "doit également être telle ou exécutée d'une telle manière qu'il soit évident que cette pratique est considérée comme obligatoire en vertu de l'existence d'une norme juridique qui exige qu'il en soit ainsi". 196 ICJ, page 44. Même si certains Etats peuvent avoir suivi la pratique décrite par les requérants, ceux-ci n'ont pas démontré l'existence d'une norme de droit international de caractère contraignant envers laquelle la totalité des Etats se sentent engagés. Les Etats-Unis ont exposé clairement ledit point de vue, demandant qu'il soit consigné dans les actes de la réunion de 1989 du Comité directeur du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, Actes succints de la 42ème réunion, page 16, Doc. ONU A/Ac.96/SR/42 (1989). Aucun Etat n'a manifesté qu'il était en désaccord avec cette position.

         79.    Les références des requérants à la Déclaration universelle des droits de l'homme et à la Charte des Nations Unies sont, elles aussi, hors de propos. La Déclaration, qui a été adoptée par l'Assemblée générale des Nations Unies en 1948 (AG/RES. 217, 3 ONU GAOR, Doc. ONU 1/777 (1948), n'est pas une résolution à caractère contraignant. "Elle n'est pas un traité; elle n'est pas, et ne prétend pas être, une déclaration juridique ou à caractère obligatoire sur le plan juridique. Bulletin XIX, Département d'Etat, nº 494, décembre 1948, page 751 (cité dans Whiteman, Résumé de droit international, page 243  (1965). La Déclaration universelle n'est impérative que dans la mesure où elle reflète le droit international coutumier; ainsi que cela a été signalé auparavant, il n'existe pas de droit international coutumier en l'espèce. La Charte des Nations Unies, elle, est bien un traité, mais les dispositions citées par les requérants (articles 55 et 56) sont trop générales pour créer des obligations juridiques de nature contraignante à propos des droits spécifiques qui sont débattus dans la présente affaire.

         80.    Loin de constituer une violation du droit des ressortissants haïtiens, les actions qu'accomplissent les Etats-Unis en faveur des Haïtiens à travers le programme d'interception et de traitement des demandes d'asile dans le pays d'origine ont sauvé de nombreuses vies haïtiennes, elles ont créé pour les Haïtiens qui remplissent les conditions nécessaires pour entrer aux Etats-Unis des voies sans danger et régulières d'immigration, sans qu'ils risquent leur vie en mer, elles font respecter les lois d'immigration des Etats-Unis et elles ont évité la tragédie humanitaire potentielle qu'aurait constitué l'arrivée massive d'immigrants haïtiens par la mer. En admettant que la Commission aborde ce point sans préjudices, les Etats-Unis estiment que l'affaire qui a été présentée ici est une affaire dans laquelle les Etats-Unis ont accompli les efforts humanitaires requis afin de restaurer la démocratie en Haïti et de garantir le respect des droits de l'homme de tous les citoyens haïtiens.

REPLIQUE DES REQUERANTS A LA REPONSE DU GOUVERNEMENT DES ETATS-UNIS A PROPOS DE LA PLAINTE

         81.    Les requérants ont fait de nombreux exposés qui contenaient divers arguments au sujet de la recevabilité[31]/ de leur requête et ayant trait aux violations par le Gouvernement des Etats-Unis de plusieurs instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme, mentionnés dans la IIIème partie du présent rapport. En outre, les requérants ont répondu de la manière suivante à la communication du Gouvernement des Etats-Unis et ils ont présenté les arguments suivants[32]/.

         82.    Aucune preuve n'a été présentée devant la Commission que, en l'espèce, un autre pays ait violé ses obligations aux termes du droit international à propos du traitement des demandes des Haïtiens pour recevoir asile et le statut de réfugiés. Aucun autre pays n'a participé au programme d'interception du Gouvernement des Etats-Unis et aucun, non plus, n'a mis en place son propre programme d'interception. La réalité, qui est connue de tous, c'est que les Haïtiens "pâtissent de graves violations des droits de l'homme sous la dictature des militaires", ce qui ajoute à cette requête un caractère d'urgence et la nécessité que le Gouvernement des Etats-Unis offre un asile juste, complet et non discriminatoire aux Haïtiens qui s'enfuient de leur pays. Le Gouvernement des Etats-Unis n'apporte pas de preuves pour appuyer sa plainte selon laquelle "à peine un petit pourcentage des Haïtiens qui désirent quitter Haïti sont réellement des réfugiés de bonne foi". Les requérants n'ont jamais nié les efforts accomplis par les Etats-Unis pour sauver et secourir les personnes qui sont en mer. Cette plainte ne concerne nullement le sauvetage ou l'aide apportée aux personnes qui sont en mer. A l'inverse, elle combat la politique du Gouvernement des Etats-Unis en vertu de laquelle ce pays oblige des individus à rentrer dans un pays où se commettent des violations graves et systématiques des droits de l'homme, sans leur accorder des entretiens d'asile justes, exhaustifs et non discriminatoires, conformément au droit international.

         83.    Un gouvernement ne peut éviter que la Commission n'examine une politique illégale, simplement en changeant de politique à intervalles réguliers. S'il est vrai que le Gouvernement a cessé d'accorder des entretiens aux Haïtiens ayant fait l'objet d'une interception en avril 1992, les requérants ont également objecté les changements de politique dans plusieurs exposés et audiences devant la Commission, car, ainsi que l'a manifesté maintes fois le Président Clinton et d'autres hauts fonctionnaires du Gouvernement des Etats-Unis, la politique dudit pays est révisée et modifiée constamment. L'inquiétude qui persiste c'est de savoir si les politiques du Gouvernement qui sont récusées dans cette plainte étaient légales. En fait, actuellement, la politique des Etats-Unis consiste à accorder une nouvelle fois de brefs entretiens aux  "boat people" en haute mer et d'obliger la grande majorité des Haïtiens à rentrer dans leur pays, à refuser l'entrée aux Etats-Unis à tout Haïtien ayant fait l'objet d'une interception et à ne pas permettre une révision judiciaire des procédures ou décisions adoptées. Une décision définitive de la Commission à propos de la politique initiale du Gouvernement des Etats-Unis en vertu de laquelle il a accordé des entretiens inadéquats, puis, par la suite, il les a refusé, servira, nous l'espérons, de directive aux Etats-Unis et à d'autres gouvernements, pour leurs politiques et pratiques présentes et futures.

         84.    Le Gouvernement des Etats-Unis reconnaît que sur 55.694 demandeurs enregistrés en avril 1994, 15.293 seulement avaient été entendus et que le visa de réfugié n'avait été octroyé qu'à 2.937 d'entre eux. Ainsi que l'admet le Gouvernement des Etats-Unis, dans le cadre d'un nouveau changement de politique, il ne donne suite en Haïti qu'aux demandes de visas de réfugiés appartenant à certaines catégories précises, et notamment les cadres supérieurs et moyens du gouvernement Aristide, etc. Les différentes réponses et témoignages des requérants ont démontré combien les conditions actuelles du système de traitement des formulaires de demandes d'asile dans le pays d'origine étaient inadéquates et dangereuses. Enfin, à la demande du Gouvernement des Etats-Unis et d'autres gouvernements, actuellement il n'y a pas de vols directs vers Haïti ou au départ d'Haïti. Cela constitue le principal obstacle pour pouvoir partir du pays, même dans le cas des personnes à qui a été octroyée la qualité de réfugiés. Quelle que soit l'intention du programme de traitement des demandes d'asile en Haïti, elle n'excuse pas l'illégalité du programme d'interception des Etats-Unis.

         85.    Alors que le Gouvernement des Etats-Unis allègue que les Haïtiens qui sont rapatriés ne rencontrent aucun problème en rentrant en Haïti, de nombreux rapatriés haïtiens sont arrêtés. Le Gouvernement des Etats-Unis a reconnu que l'on a refusé récemment à des fonctionnaires de son Ambassade l'autorisation de visiter les détenus et que les Etats-Unis... ne sont pas en mesure de réfuter les rapports faisant état d'une persécution présumée après le retour des individus. Alors que le Gouvernement des Etats-Unis soutient désormais que seuls les propriétaires des barques et les contrebandiers sont arrêtés à leur retour en Haïti, une communication du Département d'Etat datée de l'année 1993 que les pétitionnaires ont présentée le 26 avril 1994 devant la Commission, dit clairement que les autorités haïtiennes "ont interrogé tous les rapatriés, comme c'était l'habitude. ... L'interrogatoire ... donne l'impression d'être une partie de chasse pour attraper les individus considérés comme des fauteurs de troubles par la police et il est probablement conçu pour intimider les rapatriés".

         86.    La réponse des requérants, datée du 12 avril 1994, contient également des preuves du préjudice subi par les Haïtiens rapatriés de force par le Gouvernement des Etats-Unis, et entre autres, les déclarations sous la foi du serment de Fito Jean et Dukens Luma, qui ont témoigné devant la Commission, lors de sa dernière session. Le témoignage et la déclaration faite sous la foi du serment de Pierre Espérance décrit également les persécutions subies par les Haïtiens rapatriés par les embarcations des gardes-côtes des Etats-Unis. Ainsi que le reconnaît le Gouvernement des Etats-Unis "celui-ci ne peut garantir la sécurité de tous les rapatriés haïtiens. Seules les autorités haïtiennes ont la faculté de fournir de telles garanties". Le Gouvernement des Etats-Unis sait évidemment que "les autorités haïtiennes" ne se servent pas de leurs facultés pour garantir les droits fondamentaux. Les Haïtiens risquent leur vie en s'enfuyant, à cause précisément du pouvoir brutal qu'exercent les autorités haïtiennes et le Gouvernement des Etats-Unis laisse entendre qu'il peut protéger les individus rapatriés en Haïti par les embarcations de ses gardes-côtes.

         87.    Le Gouvernement des Etats-Unis allègue que les Etats-Unis n'ont pas le devoir juridique d'accueillir les Haïtiens qui s'enfuient, pas même ceux dont la demande de refuge est légitime. Nous déclarons, respectueusement, que nous ne sommes pas d'accord avec l'argument ci-dessus pour les motifs exposés dans nos communications précédentes ainsi que dans l'arrêt relatif aux mesures conservatoires adoptées par la Commission en février 1993. L'interception de ressortissants haïtiens qui ont une possibilité réelle et légitime de présenter une demande d'asile et leur renvoi de force en Haïti violent différents articles de la Déclaration américaine, de la Convention américaine et d'autres instruments internationaux et de droit coutumier. Contrairement à ce que soutient le Gouvernement des Etats-Unis, la Déclaration américaine a acquis sur le plan juridique force contraignante en vertu du fait que les Etats-Unis sont membres de l'OEA et qu'ils ont ratifié la Charte de cette Organisation. Voir, par exemple, l'affaire nº 2141 (Etats-Unis, Arrêt 23/81, OEA/Ser. L/V/II.52 Doc. 48, 6 mars 1981 et l'Avis consultatif de la Cour interaméricaine des droits de l'homme OC-10/89 (Colombie) du 14 juillet 1989.

         88.    Le droit international coutumier a été violé en l'espèce parce qu'il y a eu adoption uniformément ample et virtuelle d'une politique de non-refoulement dans le monde entier. La politique d'interception des Haïtiens en raison de leur origine nationale (alors que, par pure coïncidence, des ressortissants d'autres pays, les Cubains par exemple, sont accueillis délibérément) et leur renvoi de force en Haïti sans qu'ils bénéficient d'entretiens d'aucune sorte pour recevoir asile, violent clairement le principe de non-refoulement.

         89.    Alors que le Gouvernement des Etats-Unis fait pression sur le Gouvernement militaire de facto en Haïti afin qu'il mette en application les résolutions de l'OEA et des Nations Unies, lui-même n'a pas observé les communications envoyées par la Commission à propos de sa façon de gérer le programme d'interception. Alors que le Gouvernement des Etats-Unis a condamné "en principe et dans la pratique" la politique britannique d'autrefois relative à l'interception et au rapatriement des "boat people" vietnamiens qui s'enfuyaient vers Hong Kong, New York Times, 25 janvier 1990, page A6, il a lui-même mis en place son propre programme d'interception et de rapatriement forcé envers un seul groupe d'individus: les Haïtiens noirs et pauvres. Il ne fait aucun doute que la plupart de ces Haïtiens fuient la violence politique, les bains de sang, les disparitions et les assassinats. Depuis le moment où cette plainte a été déposée, le Gouvernement des Etats-Unis a disposé de quatre ans pour modifier ses politiques et les aligner davantage sur le droit international et les normes de comportement légal et moral.

         90.    A l'inverse, le Gouvernement des Etats-Unis a forfait, défendant devant la Commission son comportement illégal et le présentant comme un programme ayant pour but de "sauver" et de "porter secours" aux Haïtiens qui fuient leur pays. Bien peu d'Haïtiens, et certainement aucun de ceux qui ont présenté une déclaration sous la foi du serment et témoigné dans cette affaire, décriraient l'interception et le renvoi forcé comme une opération de "sauvetage" ou de "secours". Une fois de plus, nous demandons de toute urgence à la Commission de prendre une décision définitive à propos du bien fondé de cette affaire. Nous espérons que cette décision définitive portera sur la politique du Gouvernement des Etats-Unis d'avant 1992, laquelle consistait à accorder des soi-disant "entretiens" à bord des embarcations des gardes-côtes, avant de renvoyer de force plus de 99% des Haïtiens qui avaient été interceptés ainsi que sur sa politique d'après 1992, laquelle consistait à ne plus accorder le moindre entretien de demande d'asile.

REPONSE DU GOUVERNEMENT DES ETATS-UNIS A LA DEMANDE DE LA COMMISSION DATEE DU 26 SEPTEMBRE 1994

         91.    Le Gouvernement des Etats-Unis a présenté sa réponse[33]/ à la demande de la Commission portant sur l'interprétation et l'applicabilité des articles de la Déclaration américaine qui, selon la dénonciation, auraient été violés par les faits qui constituent la présente affaire. Il y déclare ceci:

         92.    Depuis la présentation par les Etats-Unis du résumé à propos du bien fondé, en date du 4 mai 1994, des faits nouveaux marquants se sont produits aussi bien dans la politique des Etats-Unis en matière d'immigration haïtienne qu'en Haïti, et le plus important de ceux-ci est la restauration de la démocratie en Haïti. Ces développements ont rendu cette plainte ou bien contestable ou bien irrecevable en raison de l'épuisement des voies de recours internes, ainsi que le montre plus en détail le mémorandum ci-joint. Qui plus est, le Gouvernement estime que la plainte n'a établi aucune violation de la Déclaration américaine. La plupart des dispositions de la Déclaration américaine citées par les requérants ne sont absolument pas pertinentes pour les faits de la présente affaire.

         93.    L'article qui est pertinent pour le programme d'interception (article XXVII relatif au droit d'asile) n'oblige pas les Etats-Unis à accueillir les Haïtiens qui s'enfuient à destination des Etats-Unis et il ne leur prohibe pas de rapatrier des Haïtiens vers Haïti, y compris ceux qui pourraient éprouver une crainte authentique d'être l'objet de persécutions. Les Etats-Unis estiment que le programme d'interception constitue une démarche saine pour faire face à l'immigration clandestine des Haïtiens par la mer. La politique des Etats-Unis a représenté, et continue à représenter, une réponse légale et humanitaire à l'immigration clandestine et à la tragédie en puissance qui menace les Haïtiens qui risquent leur vie en mer. Le Gouvernement des Etats-Unis demande respectueusement à la Commission d'adopter l'une des options suivantes: de déclarer que ladite plainte est contestable, irrecevable ou ne constitue pas une violation de la Déclaration américaine.

         94.    Au cours de la période qui s'est écoulée entre l'annonce de la suspension de la politique de rapatriement direct et le retour en Haïti du Président Aristide, plus de 20.000 Haïtiens ont été interceptés par les gardes-côtes et emmenés dans des refuges sûrs. Le 11 janvier 1995, plus de 16.000 Haïtiens avaient quittés volontairement Guantanamo pour Haïti. Les Etats-Unis estiment que, avec le départ des dirigeants putschistes, la restauration de la démocratie et l'amélioration des conditions de sécurité dans le pays, il ne reste que bien peu d'Haïtiens, si tant qu'il y en ait, qui ne puissent rentrer en Haïti en toute sécurité. Le 29 décembre 1994, des fonctionnaires des Etats-Unis en poste dans la Baie de Guantanamo ont annoncé aux Haïtiens qui se trouvaient encore là que s'ils décidaient de rentrer volontairement en Haïti avant le 5 janvier, ils qualifieraient pour recevoir des indemnités et prestations de rapatriement majorées, et notamment un versement de 200 dollars haïtiens (environ 80 dollars des Etats-Unis) et la possibilité de participer aux programmes de formation professionnelle. Ils leur ont dit que pratiquement tous les Haïtiens devraient rentrer en Haïti étant donné l'amélioration de la situation là-bas et que l'on permettrait aux personnes qui croyaient ne pas pouvoir rentrer en toute sécurité de faire connaître leurs demandes.

         95.    On estime que 670 des Haïtiens qui se trouvaient encore là-bas ont choisi de bénéficier de ces avantages. Le 5 janvier, les Etats-Unis ont commencé à rapatrier vers Haïti les Haïtiens qui restaient. Dans le cadre de ce processus, il a été accordé à tous ceux qui le voulaient la possibilité d'exprimer leurs préoccupations à propos de leur retour en Haïti. Des fonctionnaires du Service d'immigration et de naturalisation font actuellement l'évaluation desdites préoccupations, à la lumière de la situation en Haïti, et ils ne renverront en Haïti, pour le moment, aucun des Haïtiens pour lesquels il existerait un motif justifié de croire que -- en dépit des changements qui se sont produits dans les circonstances politiques, et à condition que ce soit pour des motifs différents des querelles personnelles -- leur retour en Haïti impliquerait un risque pour eux ou pour elles. Le 17 janvier, 60 dossiers ont été considérés comme nécessitant un entretien postérieur avec des fonctionnaires du Service d'immigration et de naturalisation.

         96.    Le contenu du terme "sécurité" à l'article I [34]/ - L'article I de la Déclaration a fait l'objet d'un nombre substantiel de changements avant son libellé définitif. Les archives sur la négociation dudit article suggèrent nettement que le droit à la sécurité, tel que les requérants semblent le comprendre, ne correspond pas à ce que les rédacteurs de la Déclaration avaient à l'esprit. Le projet original du Comité juridique contenait des articles séparés pour le droit à la vie (inspiré de la Déclaration d'Indépendance des Etats-Unis) et le droit à la liberté de la personne et il ne contenait aucun article relatif à la sécurité de la personne. L'annexe explicative du Comité juridique souligne l'importance de consacrer ce droit fondamental de manière générale, en laissant pour une disposition postérieure la définition des aspects spécifiques de ce droit et les restrictions qui seraient nécessaires. Les changements intervenus dans ces deux articles lors de la révision du projet du Comité juridique ne sont pas matière à discussion ici.

         97.    Application aux faits de la présente affaire - Les Etats-Unis soutiennent que la protection de la vie, de la liberté et de la sécurité de la personne est un principe solennel qui doit guider les actions de tous les Etats. A travers la préservation de ce principe, nous continuons à rechercher la pleine réalisation de la sécurité personnelle des individus n'importe où. Cependant, le droit à la sécurité des personnes, tel que l'envisage la Déclaration américaine, n'est vraiment pas pertinent pour la situation de fait du programme d'interception des Haïtiens. Le droit à la sécurité des personnes n'impose pas aux Etats l'obligation d'accueillir les personnes qui fuient leur pays à travers la mer et n'interdît pas non plus de les rapatrier, même dans le cas de réfugiés de bonne foi. Il n'exige pas non plus qu'on leur offre un refuge sûr. Ainsi que nous l'avons examiné dans notre exposé du 4 mai, les Etats-Unis ne disposent pas de preuves indiquant que les Haïtiens rapatriés aient été l'objet de brutalités ou de harcèlements, du fait qu'ils étaient des rapatriés qui avaient été l'objet d'une interception. Au cours de la surveillance qu'ils ont exercée sur les rapatriés, les Etats-Unis n'ont pas trouvé de preuves de persécutions systématiques contre les "boat people" qui ont été refoulés. L'intégrité physique des Haïtiens qui ont été interceptés n'a pas vraiment été affectée négativement par les actions des Etats-Unis.

         98.    Emmener les Haïtiens qu'ils ont secourus et qui ont fait l'objet d'une interception dans la Baie de Guantanamo afin de leur procurer un refuge sûr, renforce au maximum la sécurité des personnes. Les Haïtiens ne sont pas privés de leur liberté dans la Baie de Guantanamo puisqu'ils sont libres de rentrer en Haïti ou de se diriger vers un autre pays qui accepterait de les recevoir. La restriction qui pèse sur leurs déplacements à Guantanamo est nécessaire en raison des exigences de fonctionnement d'une installation militaire en territoire hostile. La sécurité des Haïtiens implique qu'ils ne peuvent marcher librement au-delà du périmètre des camps parce qu'il y a des terrains minés et d'autres dangers. En mettant à leur disposition le traitement des demandes d'asile dans leur propre pays, les Etats-Unis ont donné aux Haïtiens qui ont vraiment peur d'être persécutés pour des raisons de race, de religion, de nationalité ou pour leur appartenance à un groupe social ou politique déterminé, la possibilité d'être réinstallés aux Etats-Unis sans devoir risquer leur vie en mer ou en traversant la frontière en direction de la République dominicaine. Aucun autre pays n'a procuré aux Haïtiens de tels moyens pour protéger leur vie, leur liberté et leur sécurité.

         99.    Contenu de l'article II — Le droit à l'égalité devant la loi a été conçu par les rédacteurs du projet de Déclaration américaine comme étant peut-être le plus important de tous, puisqu'il "a qualifié" tous les autres droits (Annexe explicative du projet préliminaire de la Déclaration, page 72), il est implicite dans tous les autres (ibidem, page 103) et il constitue le pilier théorique sur lequel reposent tous les autres droits. Le droit à l'égalité est en essence un droit dérivé, attendu qu'il faut d'abord qu'il y ait un droit positif — contenu par exemple dans une loi — et ensuite celui-ci doit s'appliquer d'une manière telle que toutes les personnes soient égales devant cette loi. Ce droit n'interdît pas nécessairement de traiter différemment, par exemple, les étrangers en comparaison avec les ressortissants. En bref, le droit à l'égalité devant la loi est un droit d'égalité par rapport à l'application des droits positifs consacrés dans la Déclaration comme des droits fondamentaux. C'est pourquoi, la Commission doit examiner d'abord quels droits consacrés dans la Déclaration américaine sont applicables à la situation concrète du programme d'interception des Haïtiens, le contenu de ces droits appliqués dans ce contexte et évaluer ensuite si ces droits positifs sont appliqués conformément à ce qu'énonce l'article II. Ainsi que cela a été dit dans l'introduction de cet exposé, les Etats-Unis considèrent que le seul droit consacré par la Déclaration américaine qui soit pertinent pour le programme d'interception des Haïtiens est le droit d'asile, visé à l'article XXVII.  C'est pourquoi, aux yeux des Etats-Unis, la décision de la Commission doit être axée sur les dispositions de l'article XXVII et sur la question suivante: le droit d'asile visé dans ledit article s'applique-t-il en respectant le principe d'égalité devant la loi que consacre l'article II?

         100.  Qui plus est, même en ce qui concerne les droits individuels, l'article II, à l'instar d'autres articles établis dans d'autres instruments relatifs aux droits de l'homme "n'interdît pas de faire des différences en matière de traitement dans l'exercice des droits et libertés reconnus..." dans la Déclaration, étant donné que cette différence est objective et logique. Affaire relative à divers aspects des lois dans l'utilisation des langues dans l'enseignement en Belgique, 1EHRR 252.

         101.  Application aux faits en l'espèce — Les Etats-Unis réaffirment leur attachement aux objectifs établis à l'article II de la Déclaration. L'égalité devant la loi reste fortement ancrée dans notre jurisprudence interne comme étant l'un des principes fondamentaux du système juridique des Etats-Unis. La jurisprudence des Etats-Unis, sur ce point, est résumée avec concision par l'Institut de législation américaine dans son (troisième) Rétablissement de la loi portant règlement des relations extérieures des Etats-Unis (1987). La section 722 du Rétablissement dit ceci:

a.      Un étranger se trouvant aux Etats-Unis a droit à des garanties constitutionnelles différentes de celles expressément réservées aux nationaux.

b.      En vertu de la sous-section (1), un étranger se trouvant aux Etats-Unis ne peut être privé de la protection égalitaire de la loi, mais ladite protection égalitaire n'interdît pas les distinctions logiques entre étrangers et ressortissants ou entre les différentes catégories d'étrangers.

         102.  Les droits juridiques des étrangers énoncés dans le Rétablissement ont encore été étendus grâce à divers avis de la Cour suprême fédérale des Etats-Unis. A travers ces décisions, les Etats-Unis ont reconnu leur engagement aux termes des cinquième et quatorzième Amendements de la Constitution, selon lesquels le Gouvernement doit accorder la même protection juridique à toutes les personnes qui sont "sous la juridiction" des Etats-Unis. Pyler contre Doe, 457 U.S. 202 (1982). La loi est également claire, en ce sens que le Gouvernement des Etats-Unis n'a pas l'obligation légale, conformément à la Constitution, de donner la même protection légale aux personnes qui se trouvent hors de la juridiction dudit pays. Etats-Unis ex. rel. Turner contre Williams, 194 U.S. 279, 292 (19004); Matthews contre Díaz, 426 U.S. 67, 79 (1976). Dans l'affaire Díaz, la Cour suprême fédérale a indiqué que "un grand nombre de dispositions constitutionnelles et légales reposent sur la prémisse qu'une distinction légitime entre ressortissants et étrangers peut justifier les attributs et avantages octroyés à une catégorie et qui ne sont pas accordés à l'autre... L'ensemble du Titre 8 du Code des Etats-Unis qui porte règlement de la situation des étrangers et de la nationalité, se fonde sur la légitimité d'une différenciation entre ressortissants et étrangers. Bon nombre de dispositions légales fédérales prévoient un traitement différent pour les étrangers et les ressortissants". 426 U.S. 67, 78.

         103.  La politique des Etats-Unis à cet égard est cohérente avec le Rétablissement et avec les principes établis à l'article II de la Déclaration. Les Etats-Unis estiment que leurs lois relatives à l'immigration et aux réfugiés traitent les étrangers avec justice, cohérence et équité. En effet, étant un pays d'immigrants, les Etats-Unis accordent toute leur valeur aux normes de protection et quelques-unes de ces normes sont plus libérales que celles de n'importe quel autre pays au monde. Les Etats-Unis doivent tenir compte des facteurs politiques et économiques propres à Haïti au moment de déterminer la meilleure manière de s'acquitter des engagements découlant de la Convention relative aux réfugiés et des autres normes applicables en l'espèce.

         104.  Sans préjudice de l'analyse juridique selon laquelle ni les Haïtiens ni les ressortissants d'un autre pays ne peuvent se prévaloir du droit d'admission aux Etats-Unis ou éviter leur rapatriement, il faut également signaler que les actions mises en oeuvre par les Etats-Unis ne s'adressent pas seulement aux Haïtiens. Les Etats-Unis ont adopté une politique pour tous les étrangers qui essaieraient d'entrer clandestinement aux Etats-Unis par la mer. Cette politique est contenue dans la Proclamation présidentielle nº 4865 du 29 septembre 1981, FR 28829, 46 Fed. Reg. 48,107 et dans le Décret du pouvoir exécutif nº 12807 de mai 1992, qui a remplacé le Décret du pouvoir exécutif nº 12324 du 29 septembre 1981 et elle traduit le fait que les étrangers qui n'ont pas les documents voulus n'ont pas le droit d'entrer aux Etats-Unis. Ces documents n'établissent pas de différences, ni dans la théorie ni dans la pratique, fondées sur les divers facteurs énumérés à l'article II. Les citoyens chinois qui essaieraient d'entrer aux Etats-Unis clandestinement par la mer sont empêchés tout pareillement d'entrer aux Etats-Unis, grâce à la collaboration d'autres pays de transit, chaque fois que cela est possible. Les Chinois qui demanderaient asile, dans ce contexte, parce qu'ils craignent d'être l'objet de persécutions s'ils retournent en Chine, ne seront pas nécessairement conduits aux Etats-Unis pour y déposer une demande d'asile. Au lieu de cela, leurs plaintes sont examinées, soit par les fonctionnaires du pays hôte, soit par les fonctionnaires du Service d'immigration et de naturalisation des Etats-Unis, soit par des fonctionnaires du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés.

         105.  Depuis le mois d'août de cette année, les ressortissants cubains qui ont été trouvés en mer ont été emmenés, eux aussi, dans les installations du refuge de sécurité de la Baie de Guantanamo et quelques-uns ont été transférés au refuge de sécurité de Panama. Quelques ressortissants cubains ont été accueillis aux Etats-Unis, en raison des circonstances particulières qui existent depuis longtemps dans leur pays, lesquelles ne sont pas pertinentes pour l'affaire des ressortissants haïtiens. Les Etats-Unis n'ont pas connaissance de demandes pour recevoir asile aux Etats-Unis qui auraient été formulées par des ressortissants d'un autre pays, interceptés en mer.

         106.  Les différences de traitement entre ces groupes d'étrangers sont permises, en première instance, parce qu'il n'existe pas de droit sous-jacent qui impliquerait que tous les étrangers doivent être traités de la même manière. Les distinctions établies par les Etats-Unis dans le traitement de ces différents groupes d'étrangers sont fondées, en toute logique, sur les conditions différentes qui existent dans leur pays d'origine et sur les diverses politiques qu'appliquent les Etats-Unis envers leur pays respectif. Ces distinctions sont des exercices de formulation de politiques qui sont tout-à-fait permis et elles n'impliquent nullement un défi, fondé sur des discriminations interdites.

         107.  Le contenu de l'article XVII et son application à la situation de fait - Après avoir révisé les antécédents de la négociation à propos de cet article, les Etats-Unis ne voient pas en quoi il est pertinent en ce qui concerne le programme d'interception des Haïtiens. On n'y trouve nulle part l'aspect de la politique et des actions des Etats-Unis qui aurait un rapport avec cet article. On ne voit pas qu'il puisse y avoir un déni présumé de la personnalité juridique dans la présente affaire. On ne voit pas non plus quels droits civils fondamentaux peuvent faire l'objet du débat. Les Etats-Unis ne peuvent faire référence de manière substantielle à l'application de l'article XVII en ce qui concerne les faits de la présente affaire. Nonobstant, les Etats-Unis reconnaissent et respectent pleinement, comme étant une proposition générale, le principe énoncé à l'article XVII. Toute personne a un droit naturel à exercer les droits civils inhérents à la condition humaine. La Déclaration universelle des droits de l'homme (1948) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (1966) y font référence. Les Etats-Unis estiment que la reconnaissance des droits civils fondamentaux consacrés à l'article XVII est un élément nécessaire d'une société démocratique, à laquelle sont attachés tous les Etats Membres de l'OEA.

         108.  Alors que c'est un fait irréfutable que tous les individus ont des droits civils fondamentaux, l'article XVII ne signifie pas que tous les Etats sont obligés d'accorder la même quantité de droits civils à tous les individus, partout où ils se trouvent, de la même manière qu'ils le font envers leurs propres ressortissants. Les Etats-Unis ont protégé, et continuent à protéger, dans leurs tribunaux les droits civils fondamentaux de tous les ressortissants des Etats-Unis et de tous les individus qui se trouvent "à l'intérieur de la juridiction" de leurs frontières nationales. Pyler contre Doe, supra. En même temps, les Etats-Unis refusent de reconnaître, comme le font semble-t-il les requérants, qu'un Etat est dans l'obligation légale d'étendre la protection des droits civils établie par ses lois internes ou par les différents traités internationaux relatifs aux droits de l'homme, aux étrangers qui se trouvent hors de ses frontières, s'il n'a pas exprimé clairement cette intention. Sale contre Conseil des centres haïtiens, 113 S. Ct 2549, 2565. Ceci est vrai même quand il existe des contacts entre les autorités des Etats-Unis et les ressortissants étrangers qui se trouvent hors des Etats-Unis, par exemple à bord de navires des gardes-côtes ou dans les installations de la Base navale américaine de la Baie de Guantanamo, à Cuba. Il n'est absolument pas suggéré que l'on puisse porter atteinte aux droits civils des personnes par de telles actions, en aucun cas. Ainsi qu'il a été signalé, le concept général de refuge de sécurité consiste à procurer volontairement une protection aux personnes qui sentent qu'elles en ont besoin.

         109.  Contenu de l'article XVIII - L'article XVIII se fonde sur les articles Xl (droit à la protection contre la détention arbitraire) et XII (droit à la justice) du texte du projet préliminaire du Comité juridique. L'article XI dudit projet original indiquait, entre autres, que toute personne accusée d'un délit devait avoir droit à être jugée immédiatement et à un traitement adéquat ("humain" dans le texte définitif du Comité juridique) pendant tout le temps de sa détention. L'article XII signalait que toute personne accusée d'un délit devait avoir droit à ce que son affaire soit examinée dans un jugement impartial et public ("à un jugement légal, impartial et public de son affaire", dit l'avant-projet du Comité juridique), à être confrontée aux témoins, à être jugée par des tribunaux établis au préalable par la loi, avant que le fait n'ait été commis ("et à être jugée selon la loi en vigueur au moment où le délit a été commis et par des tribunaux établis au préalable" dans le texte définitif du Comité juridique). Ces deux articles se réfèrent à la situation d'une personne accusée d'un délit et, dans ce sens-là, ils ne sont pas pertinents pour la présente discussion. Le texte révisé du Groupe de travail de la sixième Commission est le texte qui a été adopté. Cet article n'exige pas que les tribunaux se prononcent d'une manière déterminée en cas de déni présumé des droits légaux. Au lieu de cela, l'article XVIII vise à assurer qu'il existe une procédure disponible pour garantir le respect des droits légaux.

         110.  Application aux faits de la présente affaire — Les Etats-Unis ont été, et continuent à être, profondément attachés au maintien d'un système judiciaire juste et efficace, capable de déterminer quels sont les droits légaux de l'individu. La protection judiciaire des droits individuels constitue l'une des fonctions les plus importantes et les plus respectées du système juridique des Etats-Unis. D'abord, en tout cas, il doit exister un droit sous-jacent. Ainsi que cela a été démontré maintes fois par les tribunaux des Etats-Unis quand ils ont examiné les différentes plaintes déposées par des requérants au fil des années à propos du programme d'interception des Haïtiens, les étrangers qui se trouvent hors des Etats-Unis n'ont pas de droits généraux en vertu des lois des Etats-Unis, à l'exception de ceux qui sont prévus dans les lois relatives à l'immigration dudit pays. Plus spécifiquement, les étrangers qui se trouvent hors des Etats-Unis n'ont pas le droit d'invoquer des prérogatives procédurières à propos de l'examen de leurs demandes d'asile ou pour éviter leur rapatriement, même en cas de persécutions exercées par les autorités dudit pays. Cette disposition a été fermement et définitivement établie par la Cour suprême fédérale des Etats-Unis dans l'affaire Sale. La Cour suprême a précisé que ni la loi d'immigration des Etats-Unis (Sect. 243 (h) de la loi portant règlement de l'immigration et de la nationalité), ni l'article 33 de la Convention sur les réfugiés n'exigent que des ressortissants haïtiens qui se trouvent hors des frontières des Etats-Unis soient admis dans ce pays ou n'interdît leur rapatriement vers Haïti par des fonctionnaires des Etats-Unis. Attendu que ces droits légaux n'existent pas aux termes des lois des Etats-Unis, il n'y a pas de droit à invoquer devant les tribunaux.

         111.  A notre avis, les autres Etats Membres de l'OEA n'interprètent pas non plus l'article XVIII dans le sens que celui-ci exige à leurs autorités d'autoriser l'entrée sur leur territoire de non ressortissants qui sont demandeurs d'asile ou de leur accorder des procédures extraterritoriales. La plainte des requérants, selon laquelle ils se sont vus refuser leurs droits en ce qui concerne la manière dont ils ont été traités à Guantanamo n'est pas reconnue dans la législation des Etats-Unis. Il n'existe aucun précédent, créé par un tribunal quelconque des Etats-Unis, permettant d'appuyer la plainte des requérants. (La décision du District oriental de New York s'est circonscrite aux Haïtiens qui avaient fait l'objet d'une enquête aux termes de la politique d'enquête précédente, et elle est antérieure à la décision de la Cour suprême à propos de l'Affaire Sale; elle n'a donc plus de validité au regard de l'arrêt récent rendu par la Cour suprême. La décision du Tribunal de la deuxième Cour d'appel et les ordonnances du Tribunal du District ont été annulées et ne peuvent plus servir de précédents). Dans le litige encore en instance devant la Cour d'appel du onzième circuit, les requérants allèguent, entre autres, à propos du traitement qu'ont reçu les Haïtiens à Guantanamo, la violation de leurs droits constitutionnels en ce qui concerne la question de leur admission aux Etats-Unis et de leur rapatriement en Haïti. Même en l'absence d'un droit sous-jacent, ils ont eu de nombreuses possibilités de recourir aux tribunaux. Les requérants ont eu accès, à maintes reprises, de façon exhaustive et continuelle, aux tribunaux des Etats-Unis afin de se prévaloir des droits dont ils sont présumés avoir été frustrés et les tribunaux des Etats-Unis, à tous les échelons, ont étudié leurs plaintes de manière minutieuse et à fond. (Voir l'historique des litiges devant les tribunaux des Etats-Unis, joint à l'exposé des Etats-Unis daté du 4 mai et l'historique du présent litige dont la référence figure en tête du présent exposé). Il n'y a pas eu en l'espèce déni de procédure.

         112.  Contenu de l'article XXIV — L'article XXIV découle de l'article VII du texte du projet préliminaire du Comité juridique, lequel établit, en essence, que toute personne a le droit, exercé au moyen d'une action individuelle ou collective, de présenter au gouvernement des pétitions afin d'être dédommagée pour des erreurs commises ou pour toute autre question d'intérêt public ou privé. Il est clair depuis les discussions du Comité juridique que le droit dont il est question en l'espèce est évidemment plus vaste que le droit de faire appel aux tribunaux énoncé à l'article XVIII. Alors que le présent article vise la réparation des droits légaux par les autorités judiciaires, l'article XXIV vise la mise en question du secteur public au sens le plus général, afin de stimuler un débat public sur ce point ou établir la responsabilité des fonctionnaires de l'Etat sous forme de sanction publique au motif de leurs actions ou de leur manque d'action ou encore afin d'attirer l'attention des autorités sur ledit point. Par conséquent, "présenter une pétition" à une autorité compétente, selon cette perspective, peut consister en n'importe quoi, aussi bien en une réclamation par l'intermédiaire des médias qu'en une lettre adressée à un fonctionnaire, élu ou de carrière, au nom d'un groupe, pour attirer son attention sur une question spécifique. Cet article trouverait satisfaction par l'interjection d'un recours auprès des tribunaux.

         113.  Application aux faits de la présente affaire — L'article XXIV n'oblige pas à instaurer des procédures spéciales pour les étrangers se trouvant hors du territoire des Etats-Unis, et par conséquent, il n'a aucun rapport avec le programme d'interception des Haïtiens. En l'espèce, les requérants ont exercé, sans aucune restriction, leur droit de pétition à propos du programme d'interception des Haïtiens, non seulement pendant toute la durée de cette procédure devant la Commission, mais encore depuis que les Etats-Unis ont mis en place ledit programme. Les requérants ont attiré l'attention du public américain et des fonctionnaires des Etats-Unis, par l'entremise de tous les mécanismes dont ils disposaient, ainsi que celle des autorités compétentes des Etats-Unis sur ce programme.  Ils ont utilisé les moyens de communication sous toutes leurs formes (presse écrite, radio, télévision); ils ont adressé des pétitions aux fonctionnaires des Etats-Unis de toutes les branches du secteur public — pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire — et à tous les échelons hiérarchiques du Gouvernement par l'intermédiaire de correspondance écrite, entretiens personnels, audiences publiques, initiatives législatives, actions légales individuelles ou collectives et ils ont même attiré l'attention de la communauté internationale sur le programme d'interception des Haïtiens.

         114.  Le Gouvernement des Etats-Unis n'a empêché les requérants de mener à bien aucune de leurs initiatives. Les requérants ont été reçus et écoutés, et ils continuent à l'être, par les fonctionnaires des Etats-Unis de toutes les instances mentionnées. Il ne fait pas le moindre doute que les requérants ont engagé le public américain et les fonctionnaires des Etats-Unis dans un débat permanent à propos de la politique d'interception des Haïtiens. Il est juste de reconnaître que les requérants ont eu une incidence considérable sur cette politique au fil des années. D'autres groupes de pression ont joué un rôle capital quand il s'est agi de polariser l'attention du pays sur un sujet qui les préoccupe et de défendre les intérêts de leurs électeurs. Le fait que les points de vue politiques des requérants n'aient pas été assumés dans tous leurs aspects par le Gouvernement des Etats-Unis ou par la majorité du peuple américain ne signifie pas que leurs droits ont été violés ni que les Etats-Unis ont porté atteinte à leur droit de pétition. Les Etats-Unis reconnaissent le rôle positif que les requérants ont joué dans le débat qui s'est établi à propos de la politique d'interception et dans l'évolution qu'a subie cette dernière pendant ses presque quinze années d'existence. Les Etats-Unis espèrent que les requérants continueront à mener des campagnes en faveur de leurs électeurs dans les années à venir, même si des changements capitaux sont intervenus en Haïti. Les Etats-Unis se félicitent de l'existence d'un débat permanent.

         115.  Contenu de l'article XXVII — Cet article, relatif au droit d'asile, est apparu pour la première fois dans le texte préparé par le Groupe de travail de la sixième Commission et il a été préconisé par la délégation de la Bolivie. Le texte du Groupe de travail ne comportait pas la phrase "conformément aux lois de chaque pays", mais il en comportait une qui disait "conformément aux accords internationaux". Cette phrase a été incluse dans la proposition soumise à la sixième Commission par la délégation de la Bolivie, dans le document CB-163/C. VI-9. Le sens de l'inclusion de la phrase "conformément aux lois de chaque pays" est de reconnaître et de préserver, de manière explicite, la souveraineté de l'Etat en matière d'immigration, y compris en ce qui concerne la question de l'admission des réfugiés. Ainsi qu'on en déduit de la négociation postérieure à propos de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, de 1951, l'absence de l'obligation d'admettre les réfugiés envisage la possibilité de laisser un réfugié dans un endroit où il est poursuivi, d'autant que la majorité des flux de réfugiés sont ceux qui traversent les frontières à la recherche d'un asile dans les pays voisins.

         116.  La phrase "conformément ... aux accords internationaux", bien qu'elle ne soit pas claire dans les archives de la négociation, suggère la faible disposition à assumer dans le contexte de la Déclaration américaine toute  obligation légale qui excéderait celles existant déjà ou qui seraient assumées dans le cadre de négociations internationales de nature contraignante. Bien que la Convention sur les réfugiés de 1951 soit ultérieure à la Déclaration américaine, il existait déjà une longue tradition d'accords internationaux relatifs à l'asile dans la région de l'Amérique latine, et pour commencer, le Titre II du Traité de Droit pénal international, Montevideo, 1889, puis la Convention de La Havane qui établit les Règles à observer pour accorder asile, datée du 20 février 1928 (132 LNTS 323), la Convention de Montevideo relative à l'asile politique, en date du 26 décembre 1933 et le Traité de Montevideo relatif à l'asile politique du 4 août 1939. Ces conventions traduisent la démarche propre à l'Amérique latine pour aborder le thème de l'asile, axée sur les notions d'asile territorial et diplomatique et elles n'ont pas été adoptées par les Etats-Unis. Les Etats-Unis ont adhéré à la démarche consacrée dans la Convention sur les réfugiés de 1951. Attendu qu'il n'est pas totalement clair si la tradition latino-américaine de l'asile exige quelque chose de plus que ce que traduit la pratique des Etats-Unis, les Etats-Unis ne sont pas partie aux conventions latino-américaines relatives à l'asile et par conséquent ils n'en ont pas d'obligations légales. Ces conventions ne fournissent donc de directives pour la présente affaire.

         117.  Dans la jurisprudence européenne, avant l'adoption de la Convention sur les réfugiés, en 1951, il existait plusieurs accords internationaux relatifs aux réfugiés. Aucun d'entre eux n'imposait l'admission d'un réfugié qui se trouvait hors du territoire national ni n'interdisait le rapatriement d'un réfugié qui n'était pas encore arrivé sur le territoire national dudit Etat et aucun de ces accords n'a été ratifié par les Etats-Unis. Ces conventions ne sont pas pertinentes dans un examen portant sur le thème dont il est question à l'article XXVII, attendu qu'elles ne s'appliquent pas aux faits de la présente affaire.

         118.  Il faut signaler pareillement que le droit à recevoir asile en territoire étranger est un droit indéterminé, qui n'est pas spécifique à un Etat en particulier. Il ne crée pas l'obligation pour un Etat spécifique de donner asile à une personne qui est à la recherche de celui-ci. La rédaction traduit les notions historiques exprimées par Atle Grahl-Madsen dans son étude sur les lois relatives aux réfugiés, selon lesquelles le droit d'asile est le droit de l'individu à l'emporter sur son Etat d'origine, si bien que l'Etat doit permettre à l'individu de le quitter; et c'est le droit de l'Etat qui donne asile à l'emporter sur l'Etat d'origine, et ainsi, l'Etat qui donne asile a le droit d'accorder asile à des ressortissants étrangers. Grahl-Madsen, Le statut des réfugiés dans le droit international (A.W. Sijthoff-Leyden, 1966) (Voir, en particulier, la discussion sur le droit d'asile, IIème tome, pages 3 à 193). Ceci peut se comprendre plus facilement dans le contexte du droit international traditionnel selon lequel une personne est à la fois responsabilité de l'Etat et son sujet, et par conséquent, il s'agit du droit qu'a un individu (ou un autre Etat) à l'emporter sur son Etat d'origine, et ce droit doit être protégé par le droit qui s'occupe des droits de l'homme. Ce point de vue à propos du contenu du droit d'asile visé à l'article XXVII est reflété, dans la juridiction de la Commission, dans l'arrêt nº 6/82, Affaire 7898 (Cuba) de mars 1982 et dans l'arrêt nº 6/82, Affaire 7602 (Cuba), également du 8 mars 1982, lesquels incluent les conclusions de la Commission à propos des violations de l'article XXVII dans des affaires concernant des ressortissants cubains à qui le Gouvernement cubain a interdit de quitter leur pays.

         119.  Application aux faits de la présente affaire — Le programme d'interception des Haïtiens mis en oeuvre par les Etats-Unis, dans chacune des modalités qu'il a empruntées depuis sa mise en place, était en harmonie, et continue à l'être, avec le droit de rechercher et d'obtenir asile dans d'autres pays, consacré à l'article XXVII de la Déclaration américaine. Ainsi que cela a été expliqué clairement dans l'exposé précédent à propos du contenu de l'article XXVII, le droit à chercher et à recevoir asile, conformément à la Déclaration, doit s'appliquer en conformité avec les lois nationales. Ainsi qu'il a été conclu, avec force détails, dans l'écrit concernant le bien fondé de l'affaire que les Etats-Unis ont adressé à la Commission le 4 mai 1994, les lois des Etats-Unis relatives à la question du "droit d'asile" des Haïtiens ayant fait l'objet d'une interception en mer sont parfaitement claires en ce qui concerne le programme d'interception des Haïtiens. Les Haïtiens qui ont été interceptés en mer par les Etats-Unis ne sont pas autorisés à entrer aux Etats-Unis ni à empêcher leur rapatriement vers Haïti, même s'ils sont considérés comme des réfugiés selon les paramètres de la Convention sur les réfugiés de 1951 ou selon les paramètres de la législation des Etats-Unis.

         120.  Les Haïtiens qui se trouvent aux Etats-Unis n'ont pas été et ne seront pas renvoyés en Haïti sans avoir eu l'occasion de déposer, s'ils le souhaitent, une demande d'asile ni avant d'avoir reçu des autorités compétentes une réponse à celle-ci. Toute action des Etats-Unis visant à offrir des voies d'asile supplémentaires aux Haïtiens ayant fait l'objet d'une interception -- telles que le refuge de sécurité de la Baie de Guantanamo et l'interrogatoire des réfugiés haïtiens mené par les gardes-côtes, à des époques différentes, dans la Baie de Guantanamo, dans le bâtiment de la Marine, dans les eaux territoriales de la Jamaïque et même en Haïti -- ont été, et continuent à être, totalement discrétionnaires, aussi bien aux termes du droit international qu'aux termes du droit interne des Etats-Unis. Les facilités supplémentaires qui ont été proposées aux Haïtiens ayant fait l'objet d'une interception pendant toutes ces années ne sont que cela -- des facilités supplémentaires -- et non pas une source d'obligations ou des paramètres légaux de nature contraignante.

         121.  La politique des Etats-Unis consistant à intercepter et à rapatrier des ressortissants haïtiens était, et continue à être, en harmonie avec les paramètres des droits de l'homme établis dans la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme. Elle a protégé la vie d'Haïtiens qui se trouvaient en mer, offrant une protection temporaire hors des Etats-Unis ainsi qu'une réinstallation permanente aux Etats-Unis à d'innombrables Haïtiens qui avaient besoin de ladite protection; elle constitue également une démarche humanitaire pour lutter contre les tentatives d'entrer aux Etats-Unis en enfreignant les lois relatives à l'immigration de ce pays. Cette politique a également permis aux Etats-Unis de conserver aux différentes branches du pouvoir public la faculté d'appliquer la politique extérieure, laquelle a finalement restauré la démocratie et le respect des droits de l'homme en Haïti. Les Etats-Unis soutiennent que la Commission doit affirmer que les politiques d'interception et de rapatriement sont acceptables et en harmonie avec les principes humanitaires exprimés dans la Déclaration.

         REPONSE DES REQUERANTS[35]/ A LA DEMANDE DE LA COMMISSION

         122.  Contenu de l'article I — Le droit à la "sécurité" est également présent à l'article 7 (1) de la Convention américaine relative aux droits de l'homme qui établit "Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne", à l'article 3 de la Déclaration universelle des droits de l'homme, à l'article 9 (1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et dans la Convention européenne des droits de l'homme. La Commission interaméricaine a considéré qu'il y avait violation de la garantie de sécurité visée à l'article I "quand un Ministre de l'intérieur envoie un message à un homme contre lequel a été lancé un mandat d'arrêt, en disant au nom de la Garde nationale que s'il ne se livrait pas, ils ne pourraient pas lui garantir la vie sauve". Droit international des droits de l'homme, 142, qui cite l'Affaire 2509 (Panama) AR 1979/80, 63. L'article I protège le droit à "la vie, à la liberté et à la sécurité" de tous les individus. Le droit à "la vie" suggère aussi le droit à ne pas mettre un terme à la vie d'autrui arbitrairement. Le droit à "la liberté" suggère l'application du droit à ne pas être soumis à une détention arbitraire. Le droit à "la sécurité" suggère également être libre de toute arrestation arbitraire et de la menace ou du risque de lésions ou de préjudices infligés à sa personne.

         123.  Application de l'article I — Le Gouvernement des Etats-Unis a soutenu que son programme d'interception "sauve la vie d'Haïtiens qui sont en mer" et qu'il s'agit réellement d'un programme de "sauvetage" humanitaire. Note du Gouvernement des Etats-Unis datée du 4 mai 1994 (ci-après dénommée "la note du Gouvernement"), page 3. Les requérants n'ont jamais contesté les efforts qu'a pu accomplir le Gouvernement des Etats-Unis pour sauver et secourir les personnes qui sont en mer. Cette plainte objecte la politique du Gouvernement des Etats-Unis selon laquelle ils interceptent les Haïtiens par la force et les renvoient dans un pays où se produisent des violations généralisées des droits de l'homme, sans leur accorder des entretiens d'asile justes, exhaustifs et non discriminatoires, conformément au droit international.[36]/  Durant cette période, il n'a été accordé aux Haïtiens ayant fait l'objet d'une interception que des entretiens superficiels ou même aucun entretien du tout. Voici un extrait de la déclaration de David I. qui affirme ceci: "Notre embarcation est partie le 7 février 1989 avec 179 personnes à bord. Sept heures plus tard, à 10 heures 50, nous avons été interceptés par les gardes-côtes des Etats-Unis. Ils nous ont dit que si nous ne montions pas dans leur bateau, ils nous frapperaient pour nous obliger à le faire. Ils nous ont forcés à monter dans leur bateau. Ils ont mis le feu à notre barque. A partir du moment où nous sommes montés à bord de leur embarcation, ils ne nous ont posé aucune question. Il n'y avait pas d'inspecteur de l'immigration à bord pour nous poser des questions. Ils nous ont ramenés à Port-au-Prince, le 9 février 1989". Déclaration de David I. Document des requérants 5.1-3 [souligné par les auteurs (sic)].

         124.  Voici un extrait de la déclaration de Salomon P. qui affirme ceci: "Nous avons été interceptés par les gardes-côtes et ils nous ramenés à Port-au-Prince, le 2 avril 1989. Ils ont mis le feu à notre canot. Ils nous ont dit qu'ils nous emmèneraient à Miami. Pendant que nous étions à bord, ils nous ont demandé pourquoi nous avions quitté Haïti. Ces questions ont été posées au groupe. Nous nous sommes rendus compte alors qu'ils nous conduisaient à Port-au-Prince. Ils ont brûlé nos vêtements, nos chaussures. Certains ont débarqué pieds nus à Port-au-Prince. J'étais l'un d'eux". Déclaration de Salomon P. Document des requérants 5 [souligné par les auteurs (sic)]. La déclaration de Guerresony D. affirme dans sa partie pertinente: "Les gardes-côtes des Etats-Unis ont intercepté notre embarcation deux jours après notre départ... Sans nous poser aucune question, ils nous ont fait monter dans une embarcation des gardes-côtes des Etats-Unis. Pendant cette opération, il y a des gens qui ont reçu des coups... il y a des personnes dont les vêtements ont été déchirés parce qu'elles opposaient de la résistance. Moi, je n'ai parlé à personne ... ni à un Haïtien ni à un Américain ... personne ne s'est approché de moi pour me parler à bord du bateau des gardes-côtes jusqu'à ce que nous arrivions au quai de Port-au-Prince, le 9 mars 1989". Déclaration de Guerresony D., Document des requérants 5 [souligné par les auteurs (sic)].

         125.  La déclaration de Monel A. affirme dans sa partie pertinente: "Trois jours plus tard, les gardes-côtes des Etats-Unis nous ont interceptés. Ils ont sabordé notre bateau. Ils nous ont mis sur le pont, nous ont dit qu'ils nous emmèneraient à Miami. A bord de l'embarcation, ils nous ont demandé pour quelle raison nous étions partis. Cette question était adressée au groupe. Nous croyions que nous allions à Miami, mais le 2 avril nous nous sommes retrouvés sur le quai d'embarquement de Port-au-Prince, au beau milieu d'un conflit armé entre les Léopards et la Garde présidentielle". Déclaration de Monel A., Document des requérants 5 [souligné par les auteurs (sic)].[37]/

         126.  Dukens Luma, qui a témoigné devant la Commission le 26 février 1993, a dit que: "après avoir été interceptés une première fois, nous avons été recueillis par les gardes-côtes et interrogés brièvement. L'entretien n'a pas été bien fait. Moi, j'étais affaibli et je ne me sentais pas bien. J'avais très mal à la jambe. Ni le fonctionnaire des Etats-Unis qui a dirigé l'entretien ni l'interprète haïtien ne se sont présentés. J'avais peur d'eux parce que je ne comprenais pas qui ils étaient... Quand ils m'ont demandé pourquoi j'étais parti d'Haïti, je leur ai dit que j'étais parti parce que j'avais des problèmes de type politique. Je leur ai dit les dangers que couraient là-bas des personnes comme moi et que je m'étais cassé une jambe en cherchant à échapper aux militaires. Je voulais leur parler davantage du MPP ("Mouvement Peyizan Papaye") et d'autres activités politiques qui m'ont valu des problèmes avec le Gouvernement des militaires, mais ils m'ont coupé la parole. L'entretien a duré trois minutes en tout à peu près".

         127.  Malgré les promesses du Gouvernement haïtien (par l'intermédiaire d'un échange de notes diplomatiques) selon lesquelles les personnes renvoyées en Haïti ne seraient pas punies d'avoir quitté leur pays, les "boat people" interceptés et refoulés en Haïti contre leur volonté par le Gouvernement des Etats-Unis ont été régulièrement arrêtés quand ils rentraient en Haïti. Les 7,8 et 13 mai 1990, quarante-trois (43) Haïtiens refoulés vers Haïti, y compris quelques-uns de ceux qui avaient été incarcérés au Centre de détention Krome du SNI, à Miami (Floride), ont été immédiatement arrêtés et incarcérés à la Prison nationale par les autorités militaires haïtiennes à leur retour à Port-au-Prince. Le 5 juin 1990, un autre groupe composé de trente-et-un (31) Haïtiens déportés de Krome a été arrêté après son retour en Haïti et ces personnes allèguent qu'on leur a dit que désormais le Gouvernement suivrait de près leurs déplacements."[38]/

         128.  Le Gouvernement des Etats-Unis a dénié aux Haïtiens leur droit à la "sécurité" visé à l'article I de la Déclaration américaine. Premièrement, le programme d'interception du Gouvernement des Etats-Unis ne se fonde pas sur une loi, selon laquelle il faut procéder à l'arrestation des Haïtiens dans les eaux internationales, détruire leurs embarcations et les obliger à retourner vers une situation dangereuse en Haïti, sans entretien permettant de déterminer s'ils qualifient comme réfugiés. Le droit international ne consacre pas le refoulement, il l'interdit. Voir la discussion relative au non-refoulement à propos de l'article XXVII du présent document. Deuxièmement, le Gouvernement des Etats-Unis n'a pas observé les procédures établies par la loi. Aussi bien avant qu'après qu'ait été édicté le décret de Kennebunkport en 1992, le Gouvernement des Etats-Unis a cessé d'accorder des entretiens adéquats afin de déterminer si le rapatriement aboutirait à un renvoi de force (à un refoulement). De nombreux Haïtiens ayant fait l'objet d'une interception n'ont pas été entendus du tout à propos de leurs demandes d'asile. D'autres ont été interrogés collectivement. D'autres, comme Dukens Luma, ont été interrogés pendant quelques minutes, mais leurs entretiens ont pris fin quand ils ont commencé à parler des raisons qu'ils avaient de demander asile.

         129.  Contenu de l'article II, le droit à l'égalité devant la loi — Ce droit a été défini comme le "droit de tous les individus à une protection égale de la loi, sans discrimination d'aucune sorte". Bjorn Stomorken et Leo Zwaak, Terminologie des droits de l'homme dans le droit international: Thesaurus, (Dordrech, Pays-Bas; Publications Martinus Nihoff, 1988). Ce droit est stipulé à l'article 24 de la Convention américaine: "Toutes les personnes sont égales devant la loi". En conséquence, elles ont le droit, sans aucune discrimination, "à une protection égale de la loi". Un libellé similaire est employé à l'article 7 de la Déclaration universelle: "Tous sont égaux devant la loi et ont droit, sans discrimination aucune, à une égale protection de la loi. Tous ont droit à une protection égale contre toute discrimination qui violerait la présente Déclaration et contre toute provocation à une telle discrimination[39]/."

         130.  Le droit à l'égalité devant la loi ne signifie pas que les dispositions légales doivent être les mêmes pour toutes les personnes, mais que l'application de la loi doit être la même, sans discrimination. Ceci est démontré dans les travaux préparatoires du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. "La disposition avait pour objet de garantir l'équité, non l'identité, en matière de traitement, et elle n'interdît pas les différences acceptables entre individus ou groupes d'individus". Note du texte du Projet de Pacte international relatif aux droits de l'homme, 10 U.N., GOAR, Annexes (Thème nº 28 de l'ordre du jour, point II) 1, 61, U.N. Doc. A/2929 (1955).

         131.  Application de l'article II — Le Gouvernement des Etats-Unis a dénié aux réfugiés haïtiens leurs droits aux termes de l'article II de la Déclaration américaine. Le Gouvernement des Etats-Unis a accordé aux réfugiés haïtiens un traitement différent de celui qu'il accorde, dans des circonstances analogues, aux autres groupes de réfugiés. Dans la Loi relative aux réfugiés de 1980, les Etats-Unis ont modifié la Loi portant règlement de l'immigration et de la naturalisation (INA, selon les sigles en anglais); ils ont ainsi révoqué, entre autres choses, les limitations géographiques et idéologiques qui avaient favorisé par le passé les réfugiés qui fuyaient le communisme ou d'autres pays du Moyen-Orient et redéfini le terme "réfugié" afin de l'adapter aux définitions employées dans la Convention des Nations Unies de 1951 et dans le Protocole relatif au statut des réfugiés de 1967. Vialet, J. Bref panorama historique de la politique d'immigration des Etats-Unis, spécialiste de la Bibliothèque du Congrès des Etats-Unis; Document nº 88-713 EPW, 25 novembre 1988, imprimé par le Comité juridique de la Chambre des représentants, 8ème édition (avril 1989); Bureau des publications du Gouvernement, Washington, D.C., 1989, page 425.

         132.  Le Comité des avocats en faveur des droits de l'homme, dont le siège est aux Etats-Unis, a informé en 1990 que "le programme d'interception fait partie d'un comportement discriminatoire du Gouvernement des Etats-Unis envers les Haïtiens qui se manifeste depuis la fin des années 70. Par le biais d'enquêtes inadéquates et de détentions arbitraires, le Gouvernement a démontré maintes fois sa prédisposition à l'encontre des Haïtiens. Lawyers Committee for Human Rights, Refoulement des réfugiés: le renvoi de force des Haïtiens en vertu de l'Accord d'interception Etats-Unis-Haïti (mars 1990).

         133.  Alors qu'Haïti est un pays saturé de violence politique, le Gouvernement des Etats-Unis a décidé que six (6) "boat people" haïtiens seulement sur 21.000 ne seraient pas refoulés de force en Haïti et qu'il leur serait permis de demander l'asile politique aux Etats-Unis. Dans le même temps, le Gouvernement des Etats-Unis a estimé que plus de 50% des Nicaraguayens avaient des motifs légitimes de solliciter l'asile politique. Le Gouvernement des Etats-Unis a également considéré que la grosse majorité de tous ceux qui, originaires des pays communistes, demandaient asile avaient des motifs légitimes de le solliciter.

         134.  Dans une affaire de la juridiction interne, ayant nom Molaire contre Smith, 743 F. Supp. 839 (S.D. Fla 1990), la Cour a exprimé que l'INS "s'était efforcé systématiquement de dissimuler les tactiques employées pour gérer les demandes d'asile aux Etats-Unis des Haïtiens et il les avait individualisées afin de leur accorder un traitement discriminatoire particulier. Maintes fois, cette Cour et d'autres tribunaux fédéraux ont conclu que l'INS est compromis dans des pratiques et des politiques illégales à l'encontre des Haïtiens..." Résumé de dix affaires, 6 Int. J. de réfugiés L. 110, 115 (1994).

         135.  Le Service d'immigration et de naturalisation a calculé que 15.081 Haïtiens avaient été interceptés pendant la période novembre-décembre 1991 et janvier 1992[40]/.  Sur 10.459 personnes à qui, soi-disant, a été accordé un entretien, 9.058 (87,6%) ont été considérées comme immédiatement "déportables". A peine 1.401 (13,4%) d'entre elles ont été "filtrées" -- c'est-à-dire considérées par les fonctionnaires chargés de l'enquête comme susceptibles de faire valoir légitimement leur pétition d'asile. De tous ces Haïtiens à qui l'on a permis de présenter des demandes d'asile, selon les statistiques, 1,8% seulement l'a obtenu effectivement. Voir Refugee Reports, Vol. XII, nº 12, 30 décembre 1991, page 12. Ces chiffres semblent scandaleusement faibles aux groupes internationaux de défense des droits de l'homme qui ont recensé plus de 1.500 assassinats, 300 arrestations et la persécution généralisée du mouvement en faveur d'Aristide, ce qui a forcé plus de 200.000 personnes à se cacher. Voir Amnesty International, Haïti, La tragédie des droits de l'homme: les violations des droits de l'homme depuis le coup d'Etat. Janvier 1992, pages 5 et 6. Les groupes de défense des droits de l'homme estiment que le nombre d'Haïtiens interceptés qui avaient des demandes d'asile viables était de 60 à 70% environ. Voir Comité des avocats de Saint-François pour les questions urbaines. Réfugiés haïtiens: faits actuels et lois en vigueur, 3 février 1992, in 2, nº 1. Il n'y a pas de différences plausibles entre les réfugiés haïtiens et les réfugiés d'un autre pays. Cependant, le Gouvernement des Etats-Unis discrimine en permanence les Haïtiens ayant fait l'objet d'une interception alors qu'il accueille les réfugiés d'autres pays, et notamment des dizaines de milliers de Cubains.

         136.  Contenu et application de l'article XVII — Ce droit important se réfère à la reconnaissance de la personnalité juridique des personnes. Lors des discussions à propos de la Convention américaine, Marco Gerardo Monroy Cabra, qui était alors le Vice-Président de la Commission interaméricaine, a écrit que la personnalité juridique inclut le droit à la reconnaissance civile et à la capacité légale. Les droits et les devoirs établis par la Convention américaine relative aux droits de l'homme. 30 Am., U.L.R. 21.25 (1981). A la différence d'autres instruments internationaux, la Déclaration américaine prévoit expressément le droit à "jouir des droits civils fondamentaux". En rejetant sommairement les demandes d'asile, les Etats-Unis méconnaissent les "droits civils fondamentaux" des réfugiés qui se trouvent en mer, lesquels ont le droit d'"être reconnus partout comme sujets à des droits". Le Gouvernement des Etats-Unis a dénié aux réfugiés haïtiens les droits que consacre l'article XVII de la Déclaration américaine. Le Gouvernement des Etats-Unis a oublié de reconnaître que les lois s'appliquent même aux Haïtiens qui fuient les persécutions. Le Gouvernement des Etats-Unis a nié le fait que les Haïtiens possèdent encore les droits reconnus internationalement qu'ils désirent exercer, en plus du droit à la vie. Ces réfugiés désirent également exercer leur droit de pétition et leur droit à recevoir asile, leur droit à ne pas être refoulés de force, leur droit à l'égalité devant la loi et leur droit à un jugement impartial. Le Gouvernement des Etats-Unis dénie aux réfugiés haïtiens la personnalité juridique quand il leur refuse une possibilité raisonnable d'exercer leurs droits.

         137.  Contenu et application de l'article XVIII — Ce droit figure à l'article 8 (1) de la Convention américaine et à l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Le Gouvernement des Etats-Unis a dénié aux réfugiés haïtiens les droits visés à l'article XVIII de la Déclaration américaine. Alors que l'article XVII établit que "Toute personne peut avoir recours aux tribunaux pour faire valoir ses droits", le Gouvernement des Etats-Unis n'a pas accordé l'accès aux tribunaux aux Haïtiens ayant fait l'objet d'une interception afin de garantir le respect de leurs droits légaux. Il n'a pas mis, non plus, à leur disposition une "procédure simple et rapide qui permette à la justice de les protéger contre les actes de l'autorité qui violerait, à leur détriment, l'un de leurs droits fondamentaux...". Au contraire, le Gouvernement des Etats-Unis a convaincu la Cour suprême que les tribunaux des Etats-Unis ne sont pas habilités à étendre leur protection aux Haïtiens qui ont été interceptés.

         138.  Contenu et application de l'article XXIV — La Déclaration américaine proclame que "Toute personne a le droit de présenter des pétitions respectueuses à n'importe quelle autorité compétente, pour des motifs d'intérêt général ou d'intérêt particulier et d'obtenir une décision rapide".  La Commission a demandé aux requérants d'interpréter la phrase "présenter des pétitions... à n'importe quelle autorité compétente" afin de la différencier du droit à recourir aux tribunaux visé à l'article XVIII. Ce droit apparaît uniquement dans la Déclaration américaine. Dans les autres instruments internationaux, il existe un droit de pétition devant les organes supranationaux des droits de l'homme. Dans la présente affaire, les "boat people" haïtiens ont le droit de pétition auprès des "autorités compétentes", c'est-à-dire, le Gouvernement des Etats-Unis, par l'entremise du Service d'immigration et de naturalisation, à ce que leurs pétitions soient étudiées et à ce qu'une décision soit prise à leur propos. Le droit à recourir aux tribunaux, visé à l'article XVIII de la Déclaration américaine, diffère du droit de présenter des pétitions à n'importe quelle autorité compétente, visé à l'article XXIV, étant entendu que les autorités compétentes incluent les dépendances du Gouvernement des Etats-Unis et les organisations intergouvernementales.

         139.  Le Gouvernement des Etats-Unis a privé clairement les réfugiés haïtiens de leur droit, visé à l'article XXIV, de présenter "des pétitions à n'importe quelle autorité compétente" et de "leur droit à obtenir une décision rapide". Il est indiscutable que les "boat people" haïtiens ayant fait l'objet d'une interception désiraient présenter des pétitions au Gouvernement des Etats-Unis afin d'être reconnus comme réfugiés, mais le Gouvernement des Etats-Unis leur a dénié leur droit de pétition avant de les rapatrier de force en Haïti. Ceci est vrai aussi bien à propos de la politique qui a précédé le Décret de Kennenbunkport (avant le 24 mai 1992), à savoir, le rapatriement de force sans entretien préalable ou avec des entretiens superficiels ou collectifs, qu'à propos de la politique postérieure au Décret de Kennenbunkport (après le 24 mai 1992), à savoir, le rapatriement de force sans qu'ils aient l'occasion de demander asile auprès des autorités compétentes du Gouvernement des Etats-Unis.

         140.  Contenu et application de l'article XXVIl, le droit à chercher et à recevoir asile[41]/ - Accords internationaux — La Commission a demandé expressément de présenter des arguments à propos du sens de la phrase "conformément à la législation de chaque pays et aux accords internationaux". En synthèse, ce libellé signifie que les Haïtiens ayant fait l'objet d'une interception et d'une détention de la part du Gouvernement des Etats-Unis ont le droit de "chercher" et de "recevoir" asile en conformité avec les traités internationaux et les "lois" des Etats-Unis. Dans son préambule, la Convention de 1951 relative au statut des réfugiés garantit à ces derniers l'exercice le plus ample de leurs droits et libertés fondamentaux et le non-refoulement est l'un des plus fondamental de ces droits. Clinique Lowenstein internationale des droits de l 'homme, Les étrangers et le devoir de non-refoulement: Conseil des centres haïtiens contre McNary, 6 Harv. H.R. J.1, 14 (1993). Le non-refoulement est "l'un des rares droits qui sont considérés comme ne pouvant être dérogés et aucun Etat ne peut émettre de réserves à son égard en devenant partie à la Convention ou au Protocole". Idem. L'article 33.1 de la Convention relative au statut des réfugiés proclame que "Aucun Etat contractant ne pourra, par expulsion ou refoulement, placer de la manière que ce soit un réfugié aux frontières de territoires où sa vie ou sa liberté seraient menacées en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social déterminé ou de ses opinions politiques".

         141.  Le droit international interdit l'intervention d'un Etat au-delà des frontières d'un Etat qui viole d'autres droits considérés comme fondamentaux. Le Comité des droits de l'homme des Nations Unies a établi qu'un Etat partie peut être tenu pour responsable, aux termes de l'article 2(1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, des violations des droits reconnus dans ce Pacte qui seraient commises par ses agents dans le territoire d'un autre Etat, avec ou sans le consentement du Gouvernement dudit Etat. Le Comité a déterminé que la qualification "soumis à sa juridiction" contenue dans le Pacte ne se réfère pas au lieu où se produit la violation mais à la relation entre l'individu et l'Etat concerné. La Commission européenne des droits de l'homme a conclu que les obligations de l'Etat, aux termes de la Convention européenne des droits de l'homme, s'étend à "toutes les personnes placées sous son autorité et sous sa responsabilité actuelles, si cette autorité est exercée à l'intérieur de son territoire ou hors de celui-ci". P. Sieghard, Le droit international des droits de l'homme, 58, (1983).

         142.  Goodwin-Gill, éminent spécialiste du droit international des réfugiés, a écrit qu'"il existe une autorité substantielle, si non concluante, à propos du fait que le non-refoulement est de nature contraignante pour tous les Etats, indépendamment de leur consentement en la matière". Idem, page 97. Il n'y a pas d'opposition officielle ou officieuse au principe de non-refoulement. Les résolutions de l'Assemblée générale relatives au non-refoulement ont été adoptées à l'unanimité.

         143.  Obligations procédurières associées au droit d'asile — En vertu de la Convention de Genève, le droit de chercher asile signifie, pour le moins, le droit de présenter une pétition. Richard Plender, L'état actuel de l'enquête menée par la Section anglophone du Centre d'études et de recherches sur le droit international et les relations internationales: le droit d'asile, page 82 (1980). Plender écrit: "le droit de présenter une pétition a un contenu pratique minimal si les Etats sont totalement libres de déterminer, selon leur jugement absolu, comment doit être présentée ladite demande et comment elle doit être examinée. Il faut être très prudent quand on affirme que le droit international impose des limitations à la liberté des Etats au moment de choisir la procédure adéquate pour statuer sur ces demandes, en conformité avec leurs situations particulières et leurs propres systèmes juridiques; mais il peut être possible de dégager quelques restrictions minimes de la liberté dont jouissent les Etats en la matière... Plender identifie l'obligation d'établir une procédure de décision. Idem. Cette procédure doit "garantir l'application équitable et impartiale des principes (relatifs à la reconnaissance du statut de réfugié) ..., il faut instituer un système spécial ayant un fonctionnement semi-judiciaire, avec des statuts adéquats, des procédures et des termes de référence". Idem, page 83.

         144.  Le processus doit inclure "des entretiens personnels des solliciteurs conduits par des fonctionnaires" qui apprécieront la crédibilité des personnes qui réclament la qualité de réfugiés. Idem, page 84. La deuxième obligation est décrite ci-après: "les fonctionnaires en poste aux frontières à qui est adressée une demande de reconnaissance de la qualité de réfugié doivent respecter le principe de non-refoulement et transmettre la demande à une autorité supérieure... Les fonctionnaires qui s'occupent normalement des fonctions propres aux ports d'entrée ne doivent pas prendre de décision, en plus, à propos des demandes d'asile. Les demandes doivent être transmises à une autorité supérieure". Idem. Plender identifie également l'obligation de permettre un recours. Il faut accorder aux demandeurs dont un Etat aura initialement rejeté la demande "un temps raisonnable pour faire appel afin qu'intervienne une révision officielle de la décision, devant la même autorité, ou devant une autorité différente, administrative ou judiciaire ..." Idem, page 87. Guy Goodwin-Gill écrit: " ... on exige [des Etats] qu'ils traitent les réfugiés selon des normes qui permettraient de trouver une solution adéquate, qui peut être le rapatriement volontaire, l'insertion sur place ou la réinstallation dans un autre pays". Les réfugiés dans le droit international, pages 122 et 123.

         145.  Lois des Etats-Unis — Dans la Loi relative aux réfugiés de 1980, les Etats-Unis ont modifié la Loi portant règlement de l'immigration et de la nationalité (LIN) et, notamment, ils ont redéfini le terme "réfugié" afin de l'aligner sur les définitions utilisées dans la Convention des Nations Unies de 1951 et dans le Protocole relatif au statut des réfugiés de 1967. Aux termes de la Loi des Etats-Unis de 1980 (et les Conventions relatives aux réfugiés) les gouvernements peuvent apprécier si un individu a "une crainte légitime de persécution pour des considérations de race, religion, nationalité, appartenance à un groupe social ou une opinion politique". Section 101 (a) (42) (A) de la Loi portant règlement de l'immigration et de la nationalité. Si un individu est reconnu comme "réfugié" parce que "sa vie ou sa liberté pourrait être menacée dans son pays pour des considérations de race, religion, nationalité, appartenance à un groupe social ou une opinion politique", les lois internes des Etats-Unis prévoient que le Gouvernement "ne pourra pas déporter ou renvoyer" le réfugié vers le pays où il risque d'être persécuté.

         146.  Jusqu'à tout récemment, le Gouvernement des Etats-Unis appuyait énergiquement le principe de non-refoulement. Les étrangers et le devoir de non-refoulement, page 15. Toutefois, malgré son engagement de longue date envers le non-refoulement, le Gouvernement des Etats-Unis a justifié le programme d'interception des Haïtiens en se fondant sur l'argument que les protections visées à l'article 33 ne s'étendent pas aux étrangers qui se trouvent hors des Etats-Unis. Même s'il était vrai, ainsi qu'en a décidé la Cour suprême fédérale, que le Président des Etats-Unis possède une autorité constitutionnelle inhérente qui lui permet de refouler n'importe quel étranger dès les points d'entrée aux Etats-Unis, ce pouvoir n'autorise pas l'interception et le renvoi sommaire de réfugiés qui se trouvent loin des Etats-Unis et qui ne se dirigent pas forcément vers ledit pays. Le programme d'interception du Gouvernement des Etats-Unis a eu pour effet d'empêcher l'entrée des Haïtiens aux Bahamas, à la Jamaïque, à Cuba, au Mexique, aux Iles Cayman ou dans tout autre pays où ils auraient pu chercher un refuge sûr. Le nombre exact d'Haïtiens, parmi tous ceux qui ont fait l'objet d'une interception, qui se dirigeaient vraiment vers les Etats-Unis, n'a jamais été établi. Le Bureau du Conseiller juridique du Ministère de la justice, lui-même, a affirmé en 1981 que "l'expérience suggère que les deux tiers à peine des embarcations (haïtiennes) se dirigent vers les Etats-Unis". Projet d'interception des embarcations sous pavillon haïtien, 5 Op. Bureau du Conseiller juridique, pages 242-243 (1981).

         147.  Les requérants ont déjà présenté une copie de Sale contre le Conseil des centres haïtiens, affaire où la Cour suprême fédérale des Etats-Unis défend la position du Gouvernement, faillant ainsi à défendre le principe de non-refoulement et conférant une "autorité interne" à sa décision de violer le droit international. En l'absence d'un quelconque recours interne, la responsabilité des Etats-Unis est inattaquable auprès des tribunaux. Ainsi que l'écrit Guy S. Goodwin-Gill: "Non seulement la Cour suprême fédérale des Etats-Unis est responsable de la violation du droit international mais le système administratif dans son ensemble l'est également, en commençant par les décrets du Président qui ont produit un effet contraire au principe de non-refoulement. La garantie du non-refoulement consiste, pour les réfugiés, en une protection fondamentale et spécifique, indépendante de la possibilité d'admission ou de l'octroi de l'asile". Guy S. Goodwin-Gill, Le refoulement dans le cas d'Haïti: Commentaire, 6 Int. J. Réfugiés L., pages 103 et 109 (1994).

VI.     QUESTION

         148.  La question qui est examinée dans la présente affaire est de déterminer si le Gouvernement des Etats-Unis a violé les articles de la Déclaration américaine relative aux droits de l'homme, ainsi que le soutiennent les requérants.

VII.    ANALYSE DE LA COMMISSION

         149.  Les requérants soutiennent que le Gouvernement des Etats-Unis a violé différents instruments internationaux relatifs aux droits de l'homme. L'instrument recteur est la Déclaration américaine relative aux droits de l'homme[42]/. Les Etats-Unis sont signataires de la Convention américaine relative aux droits de l'homme, mais ils ne l'ont pas ratifiée.

         150.  Les articles de la Déclaration américaine relative aux droits de l'homme présumés violés sont les suivants:

a.      L'article I, qui stipule: "Tout être humain a droit à la vie, à la liberté et à l'intégrité de sa personne".

b.      L'article II qui stipule: "Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont les droits et les devoirs consacrés dans cette déclaration, sans distinction de race, de sexe, de langue, de religion ou autre".

c.      L'article XVII qui stipule: "Toute personne a droit à être reconnue partout comme sujette à des droits et obligations et à jouir des droits civils fondamentaux".

d.      L'article XVIII qui stipule: "Toute personne peut recourir aux tribunaux pour faire valoir ses droits. De même, il doit exister une procédure simple et rapide qui permette à la justice de la protéger contre les actes de l'autorité violant, à son détriment, certains droits fondamentaux consacrés par la constitution".

e.      L'article XXIV qui stipule: "Toute personne a le droit de présenter des pétitions respectueuses à n'importe quelle autorité compétente, pour des motifs d'intérêt général ou d'intérêt particulier, et d'obtenir une décision rapide".

f.      L'article XXVII qui stipule: "Toute personne a le droit de chercher et de recevoir asile en territoire étranger, en cas de persécution non motivée par des délits de droit commun et conformément à la législation de chaque pays et aux accords internationaux".

         151.  Il est bon de commencer par l'analyse de l'article XXVII de la Déclaration américaine qui s'intitule "Droit d'asile". L'article exprime deux critères qui sont de nature cumulative et tous deux doivent être satisfaits pour que le droit existe. Le premier, c'est que le droit à chercher et à recevoir asile en territoire étranger doit "... être conforme à la législation de chaque pays...", c'est-à-dire du pays dans lequel on cherche asile. Le deuxième, c'est que le droit à chercher asile en territoire étranger doit être "conforme aux accords internationaux".

         152.  Le travail de préparation montre que la première rédaction de l'article ne comportait pas la phrase "conformément à la législation de chaque pays". Cette phrase a été ajoutée lors de la sixième Session de la sixième Commission du Comité juridique interaméricain, à l'occasion de la neuvième Conférence internationale des Etats américains, qui s'est tenue à Bogota en 1948 et elle a été soumise à des débats lors de la septième Session de la sixième Commission afin de protéger la souveraineté des Etats en matière d'asile.

         153.  Il s'avère de la nature cumulative des deux critères énoncés à l'article XXVII que, si le droit est établi dans la législation internationale, mais ne l'est pas dans la législation nationale, ce n'est pas un droit reconnu par l'article XXVII de la Déclaration.

         154.  La Commission observe que l'article 22(7) de la Convention américaine relative aux droits de l'homme, adoptée vingt-et-un an après la Déclaration américaine, contient un libellé similaire à celui de l'article XXVII de ladite Convention et dit: "Toute personne a le droit de chercher et de recevoir asile en territoire étranger en cas de persécution pour des délits politiques ou communs connexes aux politiques et conformément à la législation de chaque Etat et aux accords internationaux".

         155.  La Commission examinera maintenant le point concernant l'application des deux critères et s'occupera, en premier, de celui qui fait référence aux "accords internationaux". Ces accords internationaux pertinents sont la Convention de 1951 et le Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés auxquels sont partie les Etats-Unis. Dans la Convention sont définis certains critères pour qualifier une personne de "réfugié". De l'avis de la Commission, la législation internationale a évolué au point de reconnaître aux personnes qui cherchent un refuge le droit à être entendues afin de déterminer si elles remplissent ou non les conditions prévues dans la Convention.

         156.  Une disposition importante de la Convention de 1951 est consacrée à l'article 33(1) qui dit: "Aucun Etat contractant ne pourra expulser ni refouler de quelque manière que ce soit un réfugié vers un territoire dans les frontières duquel sa vie ou sa liberté pourrait être menacée à cause de sa race, sa religion, sa nationalité, son appartenance à un groupe social déterminé ou ses opinions politiques". La Cour suprême des Etats-Unis dans l'Affaire Sale, Directeur par intérim du Service d'immigration et de naturalisation, Et. A. contre le Conseil des Centres haïtiens, Inc., Et. Al.,, nº 92-344, qui a été tranchée le 21 juin 1993, a interprété que cette disposition ne s'applique pas quand il s'agit d'une personne qui est refoulée de haute mer vers le territoire dont elle s'était enfuie. La Cour suprême a soutenu, spécifiquement, que le principe de non-refoulement visé à l'article 33 ne s'applique pas dans le cas des Haïtiens qui ont été interceptés en haute mer et non sur le territoire des Etats-Unis.

         157.  La Commission n'est pas d'accord avec cet arrêt et elle partage l'opinion émise par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés, exprimée dans l'allégation amicus curiae présentée à la Cour suprême selon laquelle l'article 33 n'admet pas de limitations géographiques.

         158.  Cependant l'arrêt de la Commission selon lequel le Gouvernement des Etats-Unis a violé ses obligations contractuelles aux termes de l'article 33, ne règle pas la question de savoir s'il a enfreint l'article XXVII de la Déclaration américaine parce que l'effet cumulatif des deux critères contenus dans ce dernier établit que, pour que le droit à chercher et à recevoir asile en territoire étranger existe, cet article doit être conforme non seulement aux accords internationaux mais encore à la législation du pays dans lequel on veut obtenir asile.

         159.  Après avoir tenu plusieurs audiences judiciaires à propos des Haïtiens qui se sont enfuis de leur pays dans des embarcations précaires, la Cour suprême a finalement pris une décision dans l'Affaire Sale, Directeur par intérim du Service d'immigration et de naturalisation, Et. A. contre le Conseil des Centres haïtiens, Inc., Et. Al.,, nº 92-344, et elle a tranché le 21 juin 1993 en ce qui concerne la législation interne des Etats-Unis. Le Gouvernement des Etats-Unis, quand il a répondu le 19 janvier 1995 à la question précise de la Commission sur le sens de la phrase "conformément à la législation de chaque Etat" a déclaré que: "Comme il est indiqué sans réserves dans l'allégation à propos du bien fondé présentée par les Etats-Unis le 4 mai 1994, la législation des Etats-Unis est parfaitement transparente au sujet du 'droit d'asile' des Haïtiens: les Haïtiens interceptés par les Etats-Unis en haute mer n'ont pas le droit d'entrer aux Etats-Unis ni d'empêcher leur rapatriement vers Haïti, même s'ils sont des réfugiés aux termes des dispositions de la Convention relative au statut des réfugiés de 1951 et de la législation des Etats-Unis". Cette déclaration se fonde sur la décision de la Cour suprême fédérale dans l'Affaire Sale. Toutefois, conformément aux lois nationales des Etats-Unis, les Haïtiens et autres réfugiés qui seraient parvenus à arriver jusqu'aux côtes dudit pays ont le droit de "chercher" asile conformément à la législation des Etats-Unis. Mais il n'existe pas d'octroi obligatoire de l'"asile". L'asile n'est accordé qu'aux réfugiés qui remplissent les critères de "réfugiés" conformément aux lois nationales des Etats-Unis et à leurs obligations internationales.

         160.  La Commission a pris bonne note du fait que, avant et après l'arrêt de la Cour suprême, les Etats-Unis ont admis et reconnu le droit des réfugiés haïtiens à chercher et à recevoir asile dans ledit pays[43]/. C'est ce qui ressort de l'argument présenté par les Etats-Unis, à la page 2 du document daté du 19 janvier 1995, où ils affirment que:

         Le 8 mai 1994, le Président Clinton a annoncé sa décision de mettre un terme à la politique de rapatriement direct, sans accorder aux Haïtiens interceptés en mer par les gardes-côtes l'occasion de présenter une demande pour obtenir le statut de réfugiés, au regard de la dégradation de la situation des droits de l'homme en Haïti. Les Etats-Unis ont signé plusieurs conventions avec différentes nations de la Région d'Amérique latine visant à permettre aux Haïtiens interceptés en mer d'avoir accès à la procédure pour bénéficier du statut de réfugié, sur leur territoire ou dans leurs eaux territoriales. En juin de cette année, avec l'aide du Haut Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés, les Etats-Unis ont commencé à instruire les demandes pour accorder le statut de réfugiés et l'autorisation de s'établir aux Etats-Unis des Haïtiens qui ont été interceptés en mer, à bord du patrouilleur de la marine américaine, dans les eaux territoriales de la Jamaïque. Le nombre d'Haïtiens qui s'enfuyaient de leur pays a très vite excédé la capacité du patrouilleur des Etats-Unis à instruire les dossiers et, au début du mois de juillet, le Président Clinton a annoncé sa décision de donner refuge à tous les Haïtiens ayant fait l'objet d'une interception qui souhaiteraient être protégés dans la Base navale de la Baie de Guantanamo, à Cuba ou dans d'autres installations sûres de la région. Dans cette intention, les Etats-Unis ont signé des conventions relatives à des zones de sécurité avec plusieurs pays de la région.

         161.  Les requérants, dans leur réponse du 2 février 1995 à la Commission, ont exprimé que, pour ce qui est de la question de la Commission portant sur le contenu de l'article XXVII: "Bien qu'il soit vrai, ainsi qu'en a statué la Cour suprême des Etats-Unis, que le Président a l'autorité inhérente que lui confère la Constitution de refouler un étranger des points d'entrée dans le pays, cette autorité ne l'habilite pas à intercepter et à renvoyer de manière sommaire des réfugiés qui se trouvent loin du territoire des Etats-Unis et qui ne se dirigent pas forcément vers ledit pays. Le programme d'interception des Etats-Unis a eu pour effet d'empêcher les Haïtiens d'entrer aux Bahamas, à la Jamaïque, à Cuba, au Mexique, aux Iles Cayman ou dans tout autre pays où ils auraient pu chercher un refuge sûr. Le nombre exact de Haïtiens ayant fait l'objet d'une interception, qui se dirigeaient vraiment vers les Etats-Unis, n'a jamais été établi. Le Bureau du Conseiller juridique du Ministère de la justice, lui-même, a déclaré en 1981 que "l'expérience indique que les deux tiers à peine des embarcations (haïtiennes) se dirigeaient vers les Etats-Unis". Projet d'interception des embarcations sous pavillon haïtien, 5 Op. Bureau du Conseiller juridique, pages 242-243 (1981).

         162.  On observe que l'article XXVII prévoit le droit à chercher et à recevoir asile "en territoire étranger". L'arrêt de la Commission selon lequel le Gouvernement des Etats-Unis n'a pas transgressé l'article XXVII se limite au fait que le territoire étranger était le territoire des Etats-Unis. Le Gouvernement des Etats-Unis n'a pas contesté ni réfuté la déclaration des requérants. La Commission a pris bonne note que, après le coup d'Etat qui a renversé le Président Aristide le 30 septembre 1991, et pendant toute la durée du programme d'interception, les réfugiés haïtiens ont exercé leur droit à chercher et à recevoir asile dans d'autres territoires étrangers, tels que la République dominicaine, la Jamaïque, les Bahamas, Cuba (qui a octroyé l'asile à 3.851 Haïtiens en 1992), le Venezuela, le Suriname, le Honduras, les Iles Turques et Caïques et d'autres pays latino-américains.[44]/

         163.  La Commission estime que les Etats-Unis ont intercepté les réfugiés haïtiens et qu'ils les ont rapatriés de manière sommaire en Haïti sans examiner leur état comme il le fallait et sans leur accorder un entretien afin de déterminer s'ils remplissaient les conditions pour être considérés comme "réfugiés". La Commission estime également que la preuve du double critère sur le droit à "chercher" et à "recevoir" asile en "territoire étranger" a été satisfaite, conformément à l'article XXVII (conformément à la législation de chaque pays et aux accords internationaux) de la Déclaration américaine. Par conséquent, la Commission déclare que les Etats-Unis ont violé l'article XXVII de la Déclaration américaine en interceptant et en rapatriant sommairement en Haïti Jeannette Gédéon, Dukens Luma, Fito Jean et d'autres Haïtiens non identifiés et en les empêchant d'exercer leur droit à chercher et à recevoir asile en territoire étranger, ainsi que le prévoit la Déclaration américaine.

         164.  L'article I de la Déclaration américaine établit que: "Tout être humain a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne".[45]/  Les requérants, quand ils ont interprété cet article, à propos du "droit à la vie", citent les nombreuses occasions où des Haïtiens rapatriés ont été victimes de violences et, en particulier, les déclarations faites au cours de quatre entretiens que des fonctionnaires des Nations Unies ont eu avec des Haïtiens à la Base navale des Etats-Unis à Guantanamo, entretiens auxquels il est fait référence dans la Ière partie, page 4, paragraphes 9 et 10 de ce rapport. Les requérants ont allégué que (paragraphe 10) "les entretiens semblent ne laisser aucun doute sur le fait que les Haïtiens ayant fait l'objet d'une interception qui ont été rapatriés de force par le Gouvernement des Etats-Unis ont été et seront l'objet de brutalités de la part du Gouvernement militaire une fois rentrés en Haïti."

         165.  Les requérants ont argumenté, en outre, que les entretiens indiquaient que: "Quand les Haïtiens qui avaient été interceptés ont été rapatriés, il y avait des soldats du Gouvernement sur les quais; on leur a demandé leur nom et leur adresse après qu'ils aient passé le contrôle de la Croix-Rouge haïtienne et plus tard bon nombre d'entre eux ont été arrêtés à leur domicile. D'autres ne sont jamais arrivés chez eux, ils ont été arrêtés à des barricades qui avaient été levées sur la route. On a retrouvé les cadavres d'un grand nombre d'entre eux, tués par balle, d'autres ont été frappés en public par des soldats qui avaient obligé les gens, en les menaçant de leur revolver, à désigner les rapatriés. D'autres ont été emmenés à la Prison nationale où ils ont été privés de nourriture et où ils ont reçu tous les jours des châtiments; quelques-uns sont morts en prison sous la torture. Un gardien de prison au moins a dit aux détenus qu'on les torturait parce qu'ils s'étaient enfuis du pays et qu'il y en aurait d'autres qui subiraient le même châtiment. A d'autres, on a dit qu'un juge de l'endroit avait signé les mandats d'arrêt parce qu'ils avaient quitté Haïti et qu'ils avaient critiqué les forces armées".

         166.  La Commission est d'avis que les preuves testimoniales démontrent que les actes de violence décrits au paragraphe 4 ont été commis en Haïti par les militaires ou par d'autres qui obéissaient à leurs ordres, après que les Etats-Unis aient intercepté et rapatrié en Haïti les réfugiés haïtiens. La Commission a pris note de l'argument présenté par les requérants qui relate que le 6 juin 1984 une embarcation qui transportait de 70 à 89 Haïtiens a sombré au moment où les gardes-côtes l'accostaient. Six cadavres ont été retrouvés, y compris celui d'un interprète de l'INS et 23 ont été considérés disparus et vraisemblablement noyés. Le 11 novembre 1988 deux personnes se sont noyées au moment où les gardes-côtes essayaient d'intercepter le Sea Eagle. L'embarcation a sombré après avoir été abordée par un groupe de quatre hommes, qui étaient des fonctionnaires du Service des gardes-côtes et de l'INS. La politique consistant à essayer de stopper, aborder ou remorquer en haute mer, dans de mauvaises conditions, des embarcations totalement bondées ou en surcharge, est, en soi, une opération extrêmement dangereuse qui non seulement fait courir des risques à de nombreuses personnes mais a provoqué la perte de vies humaines.

         167.  La Commission a pris note de l'argument présenté par les requérants selon lequel en exposant les réfugiés haïtiens à un danger de mort authentique et prévisible, la politique d'interception du Gouvernement des Etats-Unis a violé clairement leur droit à la vie, protégé par l'article I. La Commission a pris note également de la jurisprudence internationale qui prévoit que si un Etat extrade une personne se trouvant dans sa juridiction et s'il en résulte qu'il existe un danger réel, conformément à la Convention, que les droits de cette personne soient violés dans une autre juridiction, il se peut que cet Etat viole, lui-même, la Convention.[46]/ Les Etats-Unis, dans les documents qu'ils ont présentés, ont affirmé que l'interception de bateaux dans lesquels voyageaient des réfugiés haïtiens a secouru et sauvé des vies humaines, parce que les bateaux n'étaient pas en condition de naviguer et que, depuis septembre 1982, près de 485 Haïtiens qui se dirigeaient vers les côtes des Etats-Unis ont fait naufrage.[47]/

         168.  La Commission a pris note également que, dans la réponse des Etats-Unis, avant l'arrêt de la Cour suprême et la politique d'interception, les réfugiés étaient emmenés à la Base navale de Guantanamo. Après la décision de la Cour suprême, les Etats-Unis ont demandé l'aide d'autres pays et "ils ont commencé à instruire les dossiers des Haïtiens qui avaient été interceptés à bord du patrouilleur de la marine des Etats-Unis, dans les eaux territoriales de la Jamaïque, en vue de leur accorder le statut de réfugiés et leur établissement aux Etats-Unis et, plus tard, ils ont emmené de nouveaux réfugiés à la Base navale de Guantanamo et à d'autres zones de sécurité dans la région[48]/.  La Commission est d'avis, par conséquent, que les Etats-Unis ont violé le droit à la vie des réfugiés haïtiens dont le nom n'est pas cité ici mais que les requérants ont identifié dans leur document, lesquels ont été interceptés par les Etats-Unis et rapatriés en Haïti et qui ensuite ont été tués après avoir été désignés comme "rapatriés", conformément à l'article I de la Déclaration américaine.[49]/

         169.  En ce qui concerne le "droit à la liberté", tel qu'il est prévu dans la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme, la Commission est d'avis que l'action d'intercepter les Haïtiens se trouvant dans des embarcations en haute mer constitue une violation du droit à la liberté des Haïtiens, conformément aux dispositions de l'article I. En vertu de quoi, la Commission estime que le Gouvernement des Etats-Unis a porté atteinte au droit à la liberté de Jeannette Gédéon, Dukens Luma, Fito Jean et des quatre Haïtiens qui ont été interrogés à la Base navale des Etats-Unis à Guantanamo et de beaucoup d'autres dont l'identité n'a pas été précisée.

         170.  Les requérants ont également allégué que l'article I de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme avait été violé en ce qui concerne le "droit à la sécurité de la personne". L'article I prévoit que: "Tout être humain a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne". Ce droit est défini comme "la jouissance légale et ininterrompue de la vie d'une personne, de ses membres, de son corps, de sa santé et de sa réputation".[50]/  Les preuves testimoniales présentées par les requérants sont frappantes et montrent que la sécurité personnelle des Haïtiens dont les noms sont cités et de ceux dont les noms sont omis, qui ont été rapatriés en Haïti contre leur volonté a été violée quand ils sont rentrés dans leur pays. Ce fait est clairement illustré par les témoignages qui sont aux mains de la Commission, rendus par les quatre Haïtiens qui ont été interrogés à la Base navale des Etats-Unis à Guantanamo et par les dépositions de Dukens Luma, Fito Jean et Pierre Espérance.

         171.  En conséquence, la Commission est d'avis que l'action du Gouvernement des Etats-Unis consistant à intercepter les Haïtiens en haute mer, à les faire monter dans des embarcations de sa juridiction et à les refouler en Haïti, les exposant ainsi à des actes de brutalité de la part des militaires haïtiens et de leurs partisans, constitue une violation du droit à la sécurité de ces réfugiés. Cependant, en se fondant sur les témoignages et les preuves qu'elle a reçus de Dukens Luma, Fito Jean et Pierre Espérance et des quatre réfugiés qui ont été interrogés par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés[51]/, selon lesquels bon nombre des rapatriés ont été arrêtés, incarcérés et ont été l'objet de sévices de la part des militaires haïtiens à leur retour en Haïti, la Commission limite l'infraction au "droit à la sécurité de la personne" à Dukens Luma, aux quatre personnes qui ont été interrogées à Guantanamo et à quelques Haïtiens dont le nom n'a pas été cité. Les requérants n'ont pas prouvé que le "droit à la sécurité de la personne" ait été violé dans le cas de Jeannette Gédéon.

         172.  Quant à l'article II "le droit à l'égalité devant la loi", les requérants ont fait valoir dans leur pétition[52]/ que le programme d'interception viole clairement la législation internationale et constitue une discrimination flagrante envers les ressortissants haïtiens qui représentent un faible pourcentage de tous ceux qui cherchent asile aux Etats-Unis, mais qui sont le seul groupe soumis au programme d'interception. Il constitue également une discrimination parce qu'il a empêché les Haïtiens d'avoir au moins une occasion équitable de présenter leur pétition alléguant qu'ils étaient persécutés. Les requérants ont déclaré que le 28 septembre 1990 le quotidien "The Miami Herald" a indiqué que le Gouvernement des Etats-Unis avait secouru 16 Cubains dans les eaux proches des côtes de la Floride et que "tous étaient en bonne santé, qu'ils avaient été conduits aux Etats-Unis et remis aux fonctionnaires du Service d'immigration et de naturalisation". Il citait également leurs noms. Le rapport a indiqué, par ailleurs, que "un bateau de pêche avec 136 Haïtiens à bord avait été refoulé vers Haïti par un garde-côte qui l'a intercepté à 500 milles au Sud-Est de Miami...". Qu'il est évident que le Gouvernement des Etats-Unis exerce une discrimination fondée sur la race et le lieu d'origine.

         173.  Les requérants ont fait valoir[53]/ que l'article II de la Déclaration américaine susmentionné établit: "Toutes les personnes sont égales devant la loi et ont les mêmes droits et devoirs consacrés dans cette Déclaration sans considération de race, sexe, langue, religion ou autre". Les requérants ont fait référence également à l'article 3 de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés[54]/.  L'article 3 stipule que: "Les Etats contractants appliqueront les dispositions de cette Convention à tous les réfugiés sans considération de race, religion ou pays d'origine".

         174.  Après avoir examiné les arguments des requérants et du Gouvernement des Etats-Unis, les deux parties, en réponse à la question que leur a posée la Commission, reconnaissent que "le droit à l'égalité devant la loi" est un droit qui prend effet dans l'application sans distinction d'un droit fondamental et non pas que les aspects de fond de la loi seront les mêmes pour tous. Les requérants ont fait valoir que "ceci apparaît dans les travaux préparatoires de la Convention internationale relative aux droits de l'homme et que "la disposition avait pour but d'assurer l'équité, et non l'identité, du traitement dispensé et que cela n'excluait pas des différences raisonnables entre personnes ou groupes de personnes".[55]/

         175.  Le Gouvernement des Etats-Unis a fait valoir qu'il ne faisait pas de distinction à l'encontre des Haïtiens, qu'ils ont été traités avec plus de privilèges que d'autres étrangers et que de 1981 à 1991 plus de 185.000 Haïtiens ont régularisé leur situation légale aux Etats-Unis, chiffre bien supérieur à celui des autres pays, à l'exception du Mexique, des Philippines, de l'ancienne Union soviétique et du Vietnam. Par ailleurs, les requérants ont fait valoir que sur 21.000 Haïtiens qui se sont enfuis en barque, six (6) seulement n'ont pas été renvoyés de force en Haïti par les Etats-Unis. Qu'ils ont estimé que 50% des Nicaraguayens avaient droit à l'asile politique et que la grande majorité des personnes originaires des pays communistes qui demandaient asile, Cuba y compris, avaient un droit légitime à demander asile. Ils ont exprimé que même au niveau des procédures internes du Gouvernement des Etats-Unis il existait de la discrimination envers les Haïtiens.

         176.  Les requérants se sont fondés dans une grande mesure sur l'Affaire Molaire contre Smith 743 F. Supp.839 (S.D. Fla. 1990) dans laquelle la Cour avait considéré que le Service d'immigration et de naturalisation (INS) "avait utilisé systématiquement des tactiques déguisées lorsqu'il s'agissait des Haïtiens qui cherchaient asile aux Etats-Unis et qu'il les avait signalés comme un groupe auquel serait dispensé un traitement discriminatoire" et que, par ailleurs, "cette Cour et d'autres tribunaux fédéraux ont conclu que l'INS avait utilisé des pratiques et des politiques illégales envers les Haïtiens..." Résumé de dix affaires, 6 Int. J. de réfugiés L. 110, 115 (1994). Ces preuves sont présentées pour démontrer que le Gouvernement des Etats-Unis a exercé de la discrimination dans le traitement dispensé aux Haïtiens.

         177.  La Commission est d'avis que le Gouvernement des Etats-Unis a violé le droit à l'égalité devant la loi en ce qui concerne les aspects suivants:

a.      L'interception en haute mer des Haïtiens en comparaison avec les ressortissants d'autres pays, comme par exemple les Cubains, qui, au lieu d'être soumis à un tel traitement, sont accueillis favorablement et emmenés aux Etats-Unis ou transportés par les gardes-côtes des Etats-Unis.

b.      Parce qu'il n'a pas accordé d'entretien aux Haïtiens interceptés en mer afin de leur permettre de réclamer la qualité de réfugiés, à cause de la distinction défavorable qu'il établit dans le traitement dispensé aux Haïtiens en comparaison avec celui qu'il accorde aux ressortissants d'autres pays, par exemple aux Cubains qui cherchent asile, et qui sont interceptés en haute mer et emmenés aux Etats-Unis afin qu'ils puissent présenter leur réclamation auprès du Service d'immigration et de naturalisation des Etats-Unis.

         178.  La Commission désire signaler que l'infraction à l'article II résulte non seulement de l'application d'un droit positif mais encore de la différenciation illogique en matière de traitement dispensé à des personnes appartenant à la même catégorie. C'est pourquoi, l'opinion selon laquelle les Haïtiens n'ont pas le droit fondamental à recevoir asile  conformément aux dispositions de l'article XXVII n'exclut pas l'opinion selon laquelle il y a eu violation de l'article II pour cause de différenciation illogique entre le traitement dispensé aux Haïtiens et celui dispensé aux ressortissants d'autres pays qui cherchent asile aux Etats-Unis. La Commission est d'avis que le Gouvernement des Etats-Unis a porté atteinte au "droit à l'égalité devant la loi" consacré à l'article II de la Déclaration américaine de Jeannette Gédéon, Dukens Luma, Fito Jean, des quatre personnes interrogées à Guantanamo et d'Haïtiens dont le nom n'a pas été cité.

         179.  En ce qui concerne la violation présumée de l'article XVII de la Déclaration américaine, la Commission est d'avis qu'il n'y a pas eu de transgression.

         180.  En ce qui concerne l'article XVIII de la Déclaration américaine, la Commission ne coïncide pas avec l'opinion du Gouvernement des Etats-Unis selon laquelle ce droit est circonscrit aux personnes accusées d'un délit. La Commission estime que plusieurs des requérants (réfugiés haïtiens) qui sont arrivés jusqu'aux côtes des Etats-Unis auraient pu présenter un recours auprès des tribunaux des Etats-Unis, pour essayer de faire valoir leurs droits, ainsi que le montrent les différentes affaires qui ont été instruites aux Etats-Unis et qui ont abouti à la décision rendue dans l'Affaire Sale. Cependant, la Commission estime que Jeannette Gédeon, Dukens Luka, Fito Jean et les ressortissants haïtiens dont les noms ne sont pas cités n'ont pu présenter de recours devant les tribunaux des Etats-Unis pour faire valoir leurs droits parce qu'ils ont été interceptés et rapatriés sommairement en Haïti sans avoir eu l'occasion d'exercer leurs droits. Par conséquent, la Commission déclare que les Etats-Unis ont violé l'article XVIII de la Déclaration américaine en ce qui concerne Jeannette Gédéon, Dukens Luma, Fito Jean et les ressortissants haïtiens dont le nom n'a pas été cité qui ont été interceptés et rapatriés sommairement en Haïti.

         181.  En ce qui concerne l'article XXIV de la Déclaration américaine qui, de l'avis de la Commission, a une portée plus large que l'article XVIII qui se limite aux tribunaux pour tout ce qui a trait aux droits légaux, se fondant sur les preuves testimoniales, la Commission considère qu'il n'y a pas eu de violation.

         182.  Le 6 novembre 1996, la Commission a transmis aux Gouvernement des Etats-Unis une copie de son arrêt à propos du fond de l'affaire. Le 3 janvier, les Etats-Unis ont répondu à la Commission, par lettre, dans laquelle ils déclarent ce qui suit:

Depuis longtemps, les Etats-Unis sont l'un des partisans les plus fervents de la Commission. Nous sommes également de fervents partisans de la démocratie et du respect des droits de l'homme en Haïti et nous sommes l'un des pays ayant le plus collaboré aux opérations de l'ONU et de l'OEA en Haïti, opérations qui ont pour but de promouvoir la paix, la stabilité et la protection des droits de l'homme.

En l'espèce, nous devons exprimer très respectueusement notre désaccord avec les conclusions de la Commission. Je ne répèterai pas ici la réponse des Etats-Unis à chacun des arguments qui ont été allégués dans cette affaire. Nos points de vue ont été exposés en détail dans nos longues notes à la Commission et, à notre avis, nous avons démontré la raison pour laquelle les actions des Etats-Unis n'ont enfreint aucune des normes relatives aux droits de l'homme consignées dans la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme. Nos notes ont prouvé en particulier qu'il n'existe aucun fondement pour interpréter ces normes relatives aux droits de l'homme comme obligeant les Etats-Unis à admettre sur leur territoire des Haïtiens qui s'enfuient de leur pays. Ces normes n'excluent pas non plus le fait que les Etats-Unis puissent rapatrier en Haïti les migrants.

Mon Gouvernement croit également que l'analyse qu'a faite la Commission est juridiquement erronée. Ainsi, elle a commis une erreur quand elle soutient que le Protocole de 1967 concernant la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés s'applique aux migrants haïtiens interceptés en haute mer. Elle a également commis une erreur quand elle interprète l'obligation de non expulsion (non-refoulement) dans le sens que les personnes interceptées en haute mer doivent disposer des mêmes procédures pour introduire leurs demandes d'asile que si elles se trouvaient sur le territoire de l'Etat intercepteur et également quand elle soutient qu'un groupe d'immigrants présumés a le droit de recevoir le traitement de la nation la plus favorisée accordé à un autre groupe. Qui plus est, il n'existe pas de fondement dans le Droit permettant d'affirmer que les Etats-Unis sont responsables des actes et omissions d'un autre gouvernement envers les citoyens dudit gouvernement.

Les Etats-Unis se sont fermement engagés à restaurer la démocratie en Haïti, à protéger les vies humaines et à traiter avec justice les réfugiés authentiques et ils respecteront cet engagement à l'avenir. Nous croyons que nos actions ont été en harmonie avec ces objectifs et n'ont violé aucune obligation relative aux droits de l'homme. Quoi qu'il en soit, pour les raisons expliquées ci-dessus et détaillées dans les notes adressées auparavant à la Commission, nous ne trouvons pas le moindre fondement pour être d'accord avec la décision de la Commission et, par voie de conséquence, nous ne n'obéirons pas à sa demande de versement de compensations.

EN VERTU DE CE QUI PRECEDE, LA COMMISSION INTERAMERICAINE DES DROITS DE L'HOMME CONCLUT QUE:

         183.  Les Etats-Unis ont violé le "droit à la vie", aux termes de l'article I de la Déclaration américaine, de réfugiés haïtiens dont le nom n'est pas cité, mais dont les requérants connaissent l'identité, qui ont fait l'objet d'une interception et ont été rapatriés en Haïti par les Etats-Unis.

         184.  Les Etats-Unis ont violé le "droit à la liberté" consacré par l'article I de la Déclaration américaine en la personne de Jeannette Gédéon, Dukens Luma, Fito Jean, les quatre personnes interrogées à Guantanamo et les Haïtiens dont le nom n'est pas cité, qui ont fait l'objet d'une interception.

         185.  Les Etats-Unis ont violé le "droit à la sécurité de la personne" auquel se réfère l'article I de la Déclaration américaine dans le cas de Dukens Luma, des quatre personnes interrogées à Guantanamo et des Haïtiens dont le nom n'est pas cité, qui ont fait l'objet d'une interception.

         186.  Les Etats-Unis ont violé le "droit à l'égalité des personnes", conformément aux dispositions de l'article II de la Déclaration américaine, en ce qui concerne Jeannette Gédéon, Dukens Luma, Fito Jean, les quatre personnes interrogées à Guantanamo et les Haïtiens dont le nom n'est pas cité, qui ont fait l'objet d'une interception.

         187.  Les Etats-Unis ont violé le "droit à recourir aux tribunaux" afin de garantir, conformément à l'article XVIII de la Déclaration américaine, le respect des droits légaux de Jeannette Gédéon, Dukens Luma, Fito Jean, des quatre personnes interrogées à Guantanamo et des Haïtiens dont le nom n'est pas cité, qui ont fait l'objet d'une interception.

         188.  Les Etats-Unis ont violé le "droit à chercher et recevoir asile", conformément aux dispositions de l'article XXVII de la Déclaration américaine, en ce qui concerne Jeannette Gédéon, Dukens Luma, Fito Jean, les quatre personnes interrogées à Guantanamo et les Haïtiens dont le nom n'est pas cité, qui ont fait l'objet d'une interception.

LA COMMISSION RECOMMANDE CECI:

         189.  Les Etats-Unis doivent verser une indemnisation adéquate aux victimes au motif des violations citées aux paragraphes 183 à 188 et informer les autorités compétentes de leur décision.

         190.  Conformément à ce que prévoit l'article 54.5 de son règlement, la Commission a décidé de publier ce rapport dans son Rapport annuel à l'Assemblée générale de l'OEA.


     [8].    Adopté par la Commission lors de sa 93ème Session, le 17 octobre 1996. Révisé et adopté comme rapport définitif lors de sa 95ème Session, le 13 mars 1997.

     [9].    Les membres de la Commission cités ci-après: le doyen Claudio Grossman, Président de la Commission, le professeur Robert Goldman et le Dr Jean Joseph Exumé, n'ont participé ni aux débats ni au vote ayant trait à cette affaire, conformément à l'article 19.2 du règlement de la Commission. Le doyen Grossman réside aux Etats-Unis, le professeur Goldman est citoyen des Etats-Unis d'Amérique et le Dr Exumé est Haïtien.

     [10].  Il a prêté déclaration devant la Commission le 26 février 1993 et le 10 février 1994 et il a participé à cette plainte comme requérant. La Commission lui a demandé lors de l'audience de présenter un texte par écrit, sous la foi du serment. Il s'est acquitté de cette demande.

     [11].  Il a prêté déclaration devant la Commission le 10 février 1994 et la Commission lui a demandé lors de l'audience de présenter un texte par écrit, sous la foi du serment. Il s'est acquitté de cette demande et il agit dans la présente affaire en tant que requérant.

     [12].  A l'article 32 (b) est prévue la présentation d'une description du fait ou de la situation dénoncé(e), où sont précisés le lieu et la date des violations présumées, et, dans la mesure du possible, le nom des victimes de ces violations présumées, ainsi que celui de toute autorité publique qui aurait eu connaissance du fait ou de la situation dénoncé(e).

     [13].  En annexe, figurent des documents sur les entretiens avec ces quatre personnes. Trois d'entre elles sont parties d'Haïti en novembre 1991 et la quatrième en janvier 1992. Leurs embarcations ont été interceptées par des embarcations du Service de gardes-côtes et elles ont été rapatriées en Haïti. Elles sont parties de nouveau d'Haïti en janvier 1992 et après avoir été interceptées par des bateaux du Service de gardes-côtes, elles ont été emmenées à la Base navale des Etats-Unis à Guantanamo.

     [14].  En ce qui concerne le détail de ces faits, consulter l'Affaire 10.675 précédente, Rapport nº 28/93, OEA/Ser.L/V/II.84 sur la recevabilité, Ière partie, pages 1 à 10. La Commission a conclu que cette affaire était recevable. 

     [15].  Voir le détail des demandes présentées par les requérants in id., IIème partie, Rapport nº 28/93, pages 10 à 13.

     [16].  Une description plus détaillée des procédures menées à bien par la Commission figure en id., Rapport nº 28/93, IVème partie, pages 14 à 17.

     [17].  Dukens Luma, membre actif d'un parti favorable à Aristide, s'est enfui deux fois d'Haïti pour des motifs politiques.

     [18].  Ann Fuller, Directrice adjointe de National Coalition for Haitian Refugees, New York, qui a ouvert par la suite un bureau en Haïti.

     [19].  John Conyers, membre du Congrès des Etats-Unis, Président du Comité d'interventions gouvernementales de la Chambre des députés.

     [20].  Id., Rapport nº 28/93.

     [21].  La demande en révision a été présentée devant la Commission. Dans cette demande, M. Josaphat affirme qu'il était l'objet de persécutions à cause de ses activités politiques au sein du RPP et que ce n'était qu'une question de temps, les militaires finiraient par le tuer.

     [22].  Id., Rapport nº 28/93, Ecrits des parties, pages 17 à 39.

     [23].  Les Etats-Unis ont envoyé une réponse détaillée, qui comportait 32 pages, à laquelle étaient jointes plusieurs annexes. Ces annexes sont un exemplaire du Rapport de 1994 sur Haïti, préparé par le Département d'Etat des Etats-Unis; une copie non confidentielle  d'un texte révisé intitulé "Histoire abrégée d'un litige relatif à l'immigration haïtienne"; une copie de la déclaration faite en 1992 par Dudley F. Sipprelle, qui était depuis 1991 Consul général à l'Ambassade des Etats-Unis à Port-au-Prince (Haïti); il avait enquêté sur Marie Zette Joseph et l'avait interrogée après son rapatriement en Haïti, le 12 février 1992 et celle-ci avait assuré qu'elle n'avait été l'objet d'aucune persécution après son retour en Haïti. La déclaration affirme également que du 18 novembre 1991 au 30 mars 1992, 9.503 réfugiés avaient été rapatriés dans 44 embarcations des gardes-côtes des Etats-Unis et que 1.294 rapatriés avaient été interrogés, et que, pour réaliser lesdits interrogatoires, il avait fallu parcourir 5.000 milles et y consacrer 3.744 heures. Que les activités de surveillance des rapatriements étaient en vigueur depuis le 31 mars. Qu'à la date du 16 avril 1992, l'Ambassade avait interrogé 1.825 rapatriés. Qu'il n'existait pas un seul cas vraisemblable de représailles ou de persécutions de la part des autorités haïtiennes qui ait été identifié parmi les rapatriés de la Base navale de la Baie de Guantanamo et qui soit lié directement ou indirectement à son rapatriement. Etaient jointes également à la réponse du Gouvernement des Etats-Unis une copie d'une demande d'Avis consultatif présenté par le Gouvernement de la Colombie à la Cour interaméricaine des droits de l'homme à propos de la nature normative de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme ainsi que les observations des Etats-Unis à ce sujet. La réponse contenait également une déclaration décrivant la politique des Etats-Unis à l'égard des réfugiés, la politique d'immigration des Etats-Unis, le traitement des demandes dans le pays d'origine et une réponse sur le bien fondé de la requête, d'après les articles de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme qui, selon les requérants, auraient été violés. Dans le présent rapport, ne figure qu'un résumé de cette réponse ayant trait aux articles spécifiques de la Déclaration américaine qui auraient été violés par le Gouvernement des Etats-Unis. 

     [24].  Il est fait référence ici à l'interception des Haïtiens en haute mer et à leur rapatriement vers Haïti.

     [25].  Pages 1 et 2 de la réponse du Gouvernement.

     [26].  Idem, pages 2 et 3.

     [27].  Idem, on trouvera aux pages 4 et 5 toute l'argumentation. 

     [28].  Consulter pages 5 à 17 les détails légaux de la plainte, ainsi que le résumé des demandes des pétitionnaires, les démarches devant la Commission, les mesures conservatoires et les décisions adoptées dans la présente affaire.

     [29].  Voir pages 14 et 15 de la réponse des Etats-Unis, "Suspension de la déportation".

     [30].  Consulter les pages 14 à 25 pour avoir une explication détaillée sur la Protection aux réfugiés haïtiens dans les demandes d'asile, le Traitement des demandes d'asile dans le pays d'origine, l'Accord relatif au programme AMIO et le Rapatriement direct des Haïtiens.

     [31].  Id., Rapport nº 28/93, exposés des parties, pages 7 à 42.

     [32].  La réponse des requérants est résumée ci-après.

     [33].  Le Gouvernement a présenté une réponse détaillée qui comporte 27 pages. Toutefois, seul un résumé de cette réponse sera présenté ci-après.

     [34].  Le Gouvernement des Etats-Unis déclare qu'il a révisé les Travaux préparatoires de la Déclaration. Le texte complet de son exposé sur ces antécédents historiques n'est pas inclus ici.

     [35].  Les requérants ont envoyé un document de 19 pages. Dans le présent rapport, est présentée une synthèse dudit document.

     [36].  Les requérants ont réitéré les faits concernant la situation en Haïti durant la période relative à la présente affaire et les politiques d'interception des Etats-Unis.

     [37].  Selon les déclarations faites sous la foi du serment dans l'Affaire Centre haïtien des réfugiés contre Baker, nº 91-2635-CIV-Atkins (C.D. Floride, 1991), des fonctionnaires du Service d'immigration et de naturalisation ont eu des entretiens avec des Haïtiens qui avaient été interceptés alors que ceux-ci étaient malades, épuisés et démunis; en général, l'entretien durait quelques minutes à peine, et une bonne partie de ce temps était consacré aux traductions; certaines fois, les fonctionnaires étaient hostiles, ils ne disaient pas qui ils étaient ni leurs intentions et ils refusaient d'approfondir une explication relative à des persécutions politiques, quelle qu'elle soit; et certains d'entre eux ont dit aux personnes interceptées que, indépendamment de ce qu'elles diraient, elles seraient renvoyées en Haïti.

     [38].  "Haiti Insight", tome 3, nº 4, juin 1990, page 1. Voir aussi la déclaration de Jean L., contenue dans le témoignage de Jocelyn McCalla, Directeur exécutif de la Coalition nationale pour les réfugiés haïtiens devant la Sous-Commission pour l'immigration, les réfugiés et le droit international du Comité juridique de la Chambre des représentants des Etats-Unis. Document des requérants 7, note 10, page 105.

     [39].  L'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques stipule ceci: "Toutes les personnes sont égales devant la loi. A cet égard, la loi doit interdire toute discrimination fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou de toute autre nature, l'origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation."

     [40].  Ces chiffres ont été obtenus dans un entretien par téléphone avec un attaché de presse de l'INS, le 5 février 1992.

     [41].  Un résumé des arguments des requérants est présenté ci-dessous.

     [42].  Pour les Etats Membres de l'Organisation, la Déclaration est le texte qui définit les droits de l'homme consacrés dans la Charte. En outre, les articles 1(2) (b) et 20 des statuts de la Commission définissent la compétence dudit organisme en matière de droits de l'homme énoncés dans la Déclaration. C'est pourquoi, à cet égard, la Déclaration est, pour ces Etats, source d'obligations internationales qui découlent de la Charte de l'Organisation. "Interprétation de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme dans le cadre de l'article 64 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme". Avis consultatif de la Cour interaméricaine des droits de l'homme, OC-10/89, 14 juillet 1989, page 49, paragraphe 45.

            Voir également "Autres traités" qui sont de la compétence consultative de la Cour, article 64 de la Convention américaine relative aux droits de l'homme, OC-1/82 du 24 septembre 1982, page 55. La Cour a décidé, à l'unanimité, que la compétence consultative de la Cour peut s'exercer, en général, à propos de n'importe quelle disposition qui concernerait la protection des droits de l'homme établie dans un traité international applicable aux Etats américains, indépendamment du fait qu'il soit bilatéral ou multilatéral, que des Etats Membres ou non du système interaméricain soient partie audit traité ou aient le droit d'y être et quel que soit l'objet principal dudit traité.

     [43].  Voir le Décret du pouvoir exécutif nº 12324 ... "Aucun individu qui serait un réfugié ne sera rapatrié sans son consentement... Le Procureur général, après avoir consulté le Secrétaire d'Etat et le Ministre des transports, adoptera les mesures pertinentes afin de garantir une application juste de nos lois relatives à l'immigration et l'observation stricte de nos obligations internationales envers ceux qui fuient vraiment les persécutions dans leur pays". Le Décret présidentiel nº 12807, édicté par le Président Bush, affirmait, entres autres, que: "Le Procureur général a un pouvoir discrétionnaire sans appel pour décider si une personne réfugiée sera ou non rapatriée sans son consentement".

     [44].  Activités du Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) financées avec des contributions volontaires: Rapport pour 1991-1992 et Budget pour 1993, IVème partie. Les Amériques: Amérique du Nord, Amérique latine et les Caraïbes, présenté par le Haut Commissaire, A/AC.96/793 (IVème partie) et Activités du HCR financées avec des contributions volontaires: Rapport pour 1992-1993 et Budget pour 1994, IVème partie. Les Amériques: Amérique du Nord, Amérique latine et les Caraïbes, présenté par le Haut Commissaire, A/AC.96/808 (IVème partie).

     [45].  Le cinquième amendement de la Constitution des Etats-Unis d'Amérique de 1787 stipule que: "Aucun individu ... aucun individu ne sera placé deux fois, pour le même délit, dans une situation qui lui fasse courir le risque de perdre la vie ou un membre; il ne sera pas obligé dans un jugement pénal à témoigner contre lui-même, il ne sera pas non plus privé de sa liberté ou de sa fortune sans être soumis à la procédure judiciaire normale.

     [46].  Voir l'Affaire Soering contre Royaume-Uni, 161 Eur. Ct H.R. (ser. A) (1989) dans laquelle la Cour européenne interprétait l'article 3 de la Convention européenne pour la protection des droits de l'homme et des libertés fondamentales qui stipule: "Personne ne sera soumis à la torture, à un traitement ou à un châtiment inhumain ou dégradant." La Cour a soutenu que "les parties signataires [ne sont pas absoutes] de responsabilités conformément à l'article 3 pour toutes les conséquences prévisibles de l'extradition dont ils pâtiront hors de leur juridiction. Id. aux paragraphes 83, 86 [souligné par les auteurs (sic)].  Voir également l'Affaire N.g contre Canada, Comité des Nations Unies pour les droits de l'homme, 1994, page 203, dans laquelle le Comité a suivi le raisonnement de l'Affaire Soering quand il a interprété l'article 7 de la Convention des Nations Unies relatives aux droits civils et politiques.  Dans les deux cas, les Etats requérants où les accusés étaient condamnés à mort pour assassinat demandaient leur extradition. Dans l'Affaire Soering, la Cour européenne a décidé que le "phénomène de la condamnation à mort" aux Etats-Unis violait l'article 3 et dans l'Affaire N.g., la mort en chambre à gaz violerait l'article 7 de la Convention relative aux droits politiques et civils, qui est similaire à l'article 3.

     [47].  Réponse des Etats-Unis, en date du 4 mai 1994.

     [48].  Document des Etats-Unis, daté du 19 janvier 1995, in 2.

     [49].  Voir les documents des requérants où ils ont identifié des rapatriés qui ont été tués ainsi que le témoignage de quatre Haïtiens ayant fait l'objet d'une interception qui ont été rapatriés vers Haïti. Les entretiens ont été réalisés par des fonctionnaires des Nations Unies.

     [50].  Id. Dictionnaire juridique de Black, 1523. Voir également 1 BI.Comm.129 Sanderson contre Hunt, 7 S.W. 179, 25 Ky.L.Rep. 626.

     [51].  Voir le chapitre IV "Procédures devant la Commission", pages 9 à 13.

     [52].  Id. au paragraphe nº 18 de la pétition.

     [53].  Le 2 février 1995.

     [54].  Id. Rapport nº 28/93. Affaire nº 10.675, partie V:21.

     [55].  Notes sur le texte du projet de Convention internationale relative aux droits de l'homme, 10 ONU Annexes GOAR (Point 28 de l'ordre du jour, pt. (II) 1, UN doc. A/2929 (1955).