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RAPPORT
No 6/97 AFFAIRE
11.071 Relative
à la recevabilité ETATS-UNIS* 12
mars 1997
1.
Il est fait état des allégations de faits qui constituent le
fondement de la requête et sont énoncés dans les communications adressées
à la Commission interaméricaine des droits de l’homme ("la
Commission") les 18 juin, 24 août et 30 octobre 1992.
Le 18 juin 1992, la Commission a reçu une communication du
requérant dans laquelle il alléguait que les Etats-Unis avaient violé les
droits de l’homme de la Nation Cherokee.
Ces allégations ont été réitérées ultérieurement dans une requête
reçue par la Commission le 24 août 1992 et qui a été soumise au nom
de la Nation Cherokee à l’Ouest du Mississippi.
Le 30 octobre 1992, la Commission a reçu du requérant un
complément d’information qui figure dans l’argument de la requête.
2.
Le requérant a fait valoir qu’un recours avait été formé contre
les Etats-Unis au nom de l’ensemble de la Nation Cherokee à l’ouest du
Mississippi à l’effet que les Etats-Unis déniaient aux populations
autochtones l’exercice de leurs droits sur la terre natale de leurs ancêtres.
Le recours est né à la suite d’un procès intenté par le
Gouvernement à la Nation Cherokee devant la Commission des réclamations
indiennes, aux fins d’empêcher la Nation Cherokee de faire valoir ses
droits sur sa terre ancestrale. Il
est allégué que le Gouvernement a fait savoir à la Nation Cherokee que le
territoire de sa terre natale s’étendait sur 1 million d’acres et
que la valeur de ce territoire lui serait versée à raison d’un dollar
l’acre, alors qu’en réalité la superficie couvrait plus d’un million
d’acres et la valeur du terrain était supérieure à EU$100 l’acre.
En règlement des litiges, le Gouvernement a indiqué qu’il
reviendrait sur sa décision au cas où tout autre groupe d’indiens soulèverait
une objection. La lettre où se
trouve consigné l’accord entre les Etats-Unis et la Bande des Cherokees
de l’Est pour trancher le différend porte la date du 15 juin 1972. Rédigée par Kent Frizzell, cette lettre a été adressée
à Paul M. Niebell et se trouve à la Bibliothèque du Congrès, dans
les Décisions de la Commission des réclamations indiennes, vol 28,
page 391.
3.
Le requérant a également fait valoir que l’accord avait été
conclu avec la Bande de l'Est et, ce nonobstant, il constitue une
reconnaissance et une obligation envers la Nation Cherokee en ce qui
concerne la moitié de la Bande de l’Ouest.
Il est également affirmé que, selon le Bureau des affaires
indiennes, la Bande de l’Est était la partie de la Nation Cherokee qui
n’avait pas accepté de perdre le droit à ses terres dans l’est du
territoire des Etats-Unis alors que la Bande de l’Ouest avait accédé aux
demandes du Gouvernement des Etats-Unis, souvent faites à la pointe d’un
pistolet. Il est également
fait valoir que toutes les nations indiennes reconnaissent que la négociation
est du domaine exclusif du Gouvernement fédéral et non de celui des Etats,
eu égard à la règle de droit diffusée aux Etats-Unis.
Il est également allégué que "lorsque la Bande de l’Ouest
parviendra à un accord avec le Gouvernement des Etats-Unis, cet accord,
s’il se matérialise, sera considéré comme s’appliquant à chacun des
Etats où vivent actuellement ses membres, l’Oklahoma étant le plus vaste
d’entre eux".
4.
Le requérant a fait ressortir, d’autre part, que les Cherokees de
la Bande de l’Ouest avaient élevé des objections sans résultat, de
sorte qu’il s’est vu contraint d’intenter une action contre les
Etats-Unis fondée sur cette objection.
Cette instance a été introduite dans le Comté de Creek, situé
dans le nord-est de l’Oklahoma. Le
Gouvernement avait décidé de ne pas comparaître dans cette affaire, ni de
déposer ses conclusions. Il
est également indiqué que le requérant a demandé qu’un jugement par défaut
soit prononcé afin de sauvegarder les intérêts de la Nation Cherokee pour
les dommages qu’elle a subis, et que le Juge Thompson a rendu ce jugement
le 11 septembre 1991. Le
requérant a fait état du fait que le jugement a arrêté l’action liée
à la réclamation des indiens intentée par les Etats-Unis.
Il a fait état également de l’existence d’une règle mondiale
de garantie de procédure régulière, en vertu de laquelle le juge d’un
Etat est tenu de décliner sa compétence à l’égard d’une affaire à
l’expiration d’un délai de 30 jours.
Cette règle a été publiée dans l’affaire McNac, contre Kinch[1]/.
5.
De plus, le requérant a allégué que le Gouvernement des Etats-Unis
s’était entendu avec l’avocat de la Banque de l’Oklahoma, Christopher
L. Coyle, pour priver le requérant de la garantie de procédure régulière
et que, le 15 mai 1992, le juge Thompson du tribunal fédéral de
première instance avait continué de dénier au requérant la garantie de
procédure régulière lorsqu’il a annulé le jugement par défaut antérieur,
lequel était valide, en invoquant comme motif de sa décision le fait que
la citation à comparaître était entachée de vice de forme.
Il a également fait valoir que les Etats-Unis avaient été dispensés
de citation lorsque ces derniers ont fait acte de comparution devant le
tribunal de l’Oklahoma pour annuler le jugement par défaut. Cette règle de droit qui rectifiait tout vice de forme de la
citation a été édictée par le Juge de la Cour suprême Brandeis dans
Richardson Machinery Co. contre Scott[2]/. Il est souligné que
"toute omission de la part de l’Oklahoma en ce qui concerne
l’observation de cette règle, constitue un déni du droit de la Nation
Cherokee à la garantie de procédure régulière".
6.
Par ailleurs, le requérant a fait valoir que la garantie de procédure
régulière avait été déniée à la Nation Cherokee à l’ouest du
Mississippi par le tribunal de l’Etat de l’Oklahoma, dans le Comté de
Creek, et que cette juridiction avait établi une distinction à son
encontre du fait de son origine ethnique.
Le requérant a fait valoir que l’article II (Discrimination
fondée sur la race), l’article XXVI, premier paragraphe, et
l’article XVIII de la Déclaration américaine des droits et devoirs
de l’homme avaient été violés. Le requérant a déclaré avoir, pendant cinq ans, assuré
des prestations de services juridiques et fait apport de ressources financières
d’un montant s’élevant à EU$50 000 pour intenter une action
en justice au nom de la Nation Cherokee, alors que le Gouvernement a versé
EU$100 000 à l’avocat qui représente les Cherokees de la Bande
de l’Est pour aboutir à ce règlement frauduleux.
L’auteur de la requête a indiqué qu’il ne peut épuiser les
voies de recours additionnelles devant les tribunaux des Etats-Unis, car il
est à bout de ressources, à tel point que cette affaire lui a coûté sa
maison, ses automobiles et son conjoint, de sorte qu’il ne peut faire un
apport de fonds supplémentaires et qu’il ne peut plus rien espérer. Le requérant a soutenu par ailleurs que le Gouvernement,
suivant sa tactique, avait entre-temps présenté diverses exceptions
dilatoires devant le tribunal du Comté de Creek.
Pendant cette période, les deux dixièmes des organisateurs de
Thrift Coop sont décédés.
7.
Le requérant a fait état de violations des articles II (droit
d’égalité devant la loi), XXVI, premier paragraphe (droit au procès régulier),
et XVIII (droit à la justice).
8.
Le requérant demande à la Commission d’intercéder en vue de
parvenir à un règlement amiable. Il
se déclare prêt à accepter la somme de EU$100 millions, montant qui,
selon lui, est sensiblement inférieur à celui offert par le Gouvernement
des Etats-Unis dans l’affaire entendue par le tribunal qui juge les réclamations
faites contre le Gouvernement des Etats-Unis, dans le but de parvenir à un
règlement.
A.
Réception des documents
9.
Depuis la réception de la requête datée du 24 août 1992
et des renseignements complémentaires qui lui ont été adressés jusqu’à
leur instruction initiale, la Commission a suivi les procédures stipulées
dans son Règlement. Elle a étudié,
examiné et pris en considération la totalité de l’information soumise
par les parties.
10.
Durant cette période, la Commission a communiqué par écrit avec le
requérant et le Gouvernement des Etats-Unis.
Elle a, le 19 octobre 1992, transmis à ce dernier les
passages pertinents de la requête ainsi que l’information complémentaire
et lui a demandé de fournir l’information qu’il jugeait appropriée au
sujet des allégations faites dans la requête, de même que l’information
complémentaire ayant trait à l’épuisement des voies de recours de la
juridiction interne. En formulant ces demandes, la Commission a indiqué que
"la demande d’information ne constitue pas une décision quant à
l’admissibilité de la communication".
11.
La Commission a reçu du Gouvernement des Etats-Unis plusieurs notes,
y compris sa réplique à la requête et la réfutation de la réponse du
requérant auxquelles il est fait référence plus bas.
12.
La Commission a reçu également plusieurs notes de la partie requérante,
y compris des documents sur les actions en justice devant les tribunaux des
Etats-Unis ainsi que les réponses du requérant à la réplique du
Gouvernement des Etats-Unis, auxquelles il est fait mention plus loin.
B.
Réplique des Etats-Unis à la requête
13.
Le 19 mars 1993, le Gouvernement des Etats-Unis a répliqué à la
requête et a inclus dans sa réplique les rappels historiques suivants se
rapportant à la requête: "la Nation Cherokee vivait depuis des temps
immémoriaux à l’est du Mississippi, et était principalement installée
sur des terres qui aujourd’hui font partie des Etats de Géorgie, de
l’Alabama, de la Caroline du Nord et de la Caroline du Sud.
Au début du XIXe Siècle, une partie de la Nation Cherokee a
sollicité l’autorisation de changer ce qui constituait jusque-là son
lieu de résidence pour aller s’installer sur des terres situées à
l’ouest du Mississippi. Les
traités signés en 1817 et 1819 ont réservé des terres à l’ouest de ce
fleuve à l’intention des membres de la Nation Cherokee qui désiraient
s’y fixer. En 1828, les
Etats-Unis ont décidé de substituer aux terres qui leur avaient déjà été
cédées, conformément aux traités de 1817 et 1819, d’autres terres à
l’ouest du Mississippi, composant ce qui constituait alors le territoire
indien". Ce groupe, qui
s’est installé à l’ouest, était connu sous le nom "Cherokees de
l’Ouest[3]/.
14.
Les Etats-Unis ont déclaré qu’en 1835 les indiens cherokees qui
étaient demeurés à l’est du Mississippi (connus sous le nom de
"Cherokees de l’Est") ont conclu un traité avec les Etats-Unis
en vertu duquel ils cédaient aux Etats-Unis contre la somme de EU$5 millions
les terres qui demeuraient en leur possession à l’est du Mississippi.
Ces Cherokees ont ultérieurement traversé le Mississippi pour
rejoindre les "Cherokees de l’Ouest".
Dès 1838, la majorité des "Cherokees de l’Est" avaient
émigré vers les terres des "Cherokees de l’Ouest", certains à
titre volontaire et d’autres involontairement.
Le 6 août 1846, les différents groupes qui résidaient à
l’ouest du Mississippi ont signé un traité avec les Etats-Unis stipulant
que toutes les terres situées à l’ouest du Mississippi, qui avaient été
transférées aux Cherokees de l’Ouest, deviendraient la propriété
commune de "tout le peuple cherokee".
15.
Les Etats-Unis ont également souligné que près que de 14 000 Cherokees
refusèrent d’émigrer et sont restés en Caroline du Nord.
Ce groupe est devenu la "Bande orientale des Cherokees de
Caroline du Nord". En 1959, dans l’affaire de la Bande des indiens Cherokee de
l’Est contre les Etats-Unis, le groupe a poursuivi les Etats-Unis devant
la Commission chargée d’instruire les réclamations faites par les
Indiens et a réclamé qu’une somme d’argent était due à la Bande au
titre des terres qui ont été cédées aux Etats-Unis à la suite des 12 traités
conclus de 1785 à 1835 entre la Nation Cherokee et les Etats-Unis. La Commission a ordonné de scinder le cas en litige en 12 affaires
distinctes. Une fois présentés
les arguments de la cause, la Commission a ordonné que toutes les affaires
soient instruites sous l’angle de la responsabilité.
Les parties ont accepté une formule de compromis par le biais d’un
accord conjoint présenté dans chacune des affaires, le 27 février 1970.
Il a été prescrit par la suite de procéder au jugement de la réclamation
concernant la question du montant.
16.
Les Etats-Unis ont fait valoir, d’autre part, que les deux parties
sont parvenues, à l’issue de négociations, à une entente en vertu de
laquelle les Cherokees de l’Est se verraient indemniser pour 1 686 595 acres
de terres à une valeur vénale de 1,10 dollar l’acre, prix à ce
moment jugé équitable. Cette
superficie équivalait à la quinzième partie de la terre qui avait fait
l’objet des 12 traités et traduisait l’accord des parties sur ce
qui représentait une indemnisation équitable, vu qu’une partie de la
Nation Cherokee n’avait pas migré vers l’ouest.
La Bande a décidé d’accepter, au titre de sa réclamation, la
somme de EU$1 855 254,50. Cette
offre de réparation serait retirée au cas où une autre partie
interviendrait dans l’affaire. Le
Commissaire aux affaires indiennes a approuvé, le 17 août 1972,
l’indemnisation dont le montant avait été négocié et l’ouverture des
crédits nécessaires à cette fin a été décrétée le 31 octobre de
la même année[4]/.
17.
Les Etats-Unis ont également déclaré que la demande introductive
d’instance, émanant du requérant a été fondée sur les faits suivants:
le 26 juillet 1991, James L. Fisk, de Tulsa, Oklahoma,
("le demandeur") a déposé une requête au titre de First
American Thrift Coop. Assn., contre le Commissaire aux Affaires indiennes
devant le tribunal fédéral de première instance du Comté de Creek, Etat
de l’Oklahoma, faisant valoir que les Cherokees vivant à l’Ouest du
Mississippi pouvaient revendiquer le droit à une "indemnisation du
fait d’avoir été spoliés de leur terre natale en Caroline du
Nord". Le demandeur a également
soutenu que l’accord d’indemnisation approuvé par la Commission des
Affaires indiennes dans le procès Bande des Indiens Cherokees de l’Est
contre les Etats-Unis excluait injustement des négociations la Bande des
Cherokees de l’Ouest et que les négociations entre les Etats-Unis et la
Bande de l’Est ont été tenues secrètes pour les soustraire à la
connaissance de la Bande de l’Ouest.
Le demandeur s’est employé à obtenir une injonction adressée au
Commissaire aux Affaires indiennes, lui interdisant d’intervenir dans les
négociations ultérieures afférentes aux réclamations de la Bande des
Cherokees de l’Est ou de la Bande des Cherokees de l’Ouest, et
d’autoriser le paiement à cette dernière de la moitié des fonds autorisés
pour satisfaire les réclamations nées des traités. 18. Les Etats-Unis ont déclaré, d’autre part, que la réclamation a été envoyée par courrier ordinaire au Commissaire aux Affaires indiennes à Washington, D.C. La réclamation n’était pas accompagnée d’une citation à comparaître, et ni le Procureur du District du nord de l’Oklahoma, ni le Ministre de la Justice des Etats-Unis n’ont été notifiés de l’affaire comme le requiert la loi fédérale. En raison de l’absence de notification opportune, le Commissaire n’a pas comparu à la date fixée pour l’audience. Le 11 septembre 1991, le tribunal a prononcé un jugement par défaut en faveur du requérant. Dans la déclaration sous serment pour la décision rendue le 13 novembre 1991, le demandeur s’est vu accorder un dédommagement de EU$27 millions. Les Etats-Unis ont présenté, le 16 mars 1992, une demande d’affirmation du jugement par défaut motivée par la déficience des formes de procédure et l’insuffisance de notification. La demande d’annulation maintient expressément que la réclamation n’a pas été envoyée au Commissaire aux Affaires indiennes par courrier recommandé avec avis de réception, qu’elle n’était pas accompagnée d’une citation à comparaître et que ni le Procureur ni le Ministre de la justice des Etats-Unis n’avaient reçu copie de ladite citation à comparaître.
19.
Les Etats-Unis ont également fait savoir qu’une audience avait eu
lieu le 11 mai 1992 au tribunal fédéral de première instance du
Comté de Creek, Oklahoma, pour examiner la demande d’affirmation du
jugement par défaut faite par les Etats-Unis.
Le tribunal a émis l’opinion qu’il n’avait pas compétence sur
le défendeur fédéral, du fait du défaut de notification opportune, et a
ordonné l’annulation du jugement par défaut.
First American Thrift Coop. Assn. n’a pas interjeté appel.
Les Etats-Unis ont soutenu que First American Thrift n’avait pas
actionné les Etats-Unis en dommages-intérêts dans d’autres Etats ou
devant d’autres tribunaux fédéraux et que la demande du requérant
devrait être rejetée conformément aux dispositions des articles 37
et 41 (a) du Règlement de la Commission, parce que le requérant n’a
ni invoqué ni épuisé toutes les voies de recours de la juridiction
interne.
20.
Les Etats-Unis ont soutenu, d’autre part, que leurs politiques et
leurs pratiques qui constituent la base du recours formé par le requérant
auprès de la Commission, ont initialement été contestées devant les
tribunaux des Etats-Unis dans l’affaire First American Thrift Coop. Assn.
contre le Commissaires aux Affaires indiennes.
Dans cette affaire, le jugement par défaut, en faveur du requérant,
a été annulé, sans préjudice, lors de procédures judiciaires postérieures.
First American Thrift aurait pu faire appel en temps opportun de
l’injonction qui a annulé le jugement par défaut antérieur, mais ne
l’a pas fait. On devrait empêcher
que le requérant allègue qu’il a épuisé cette voie de recours alors
qu’il a négligé de se prévaloir de son droit à utiliser la voie de
recours de la juridiction interne au moment où celle-ci était ouverte.
Ce qui est plus important encore, le requérant continue d’avoir le
droit de saisir le tribunal de l’Oklahoma de sa réclamation initiale.
First American Thrift Coop. Assn. ne s’est pas vu interdire l’accès
à un tribunal compétent pour examiner le bien-fondé des réclamations.
Tout ce qu’il faut, c’est que l’Association observe simplement
les règles applicables en matière de citation à comparaître et de
notification du tribunal choisi pour les besoins de la cause.
21.
Les Etats-Unis ont maintenu par ailleurs que l’on ne devrait pas
permettre au requérant de négliger d’épuiser les voies de recours de la
juridiction interne comme le prescrit l’article 37 (2) du Règlement
de la Commission. Tout
d’abord, la loi interne des Etats-Unis offre explicitement les garanties
de procédure pour la protection des droits que revendique le requérant. Deuxièmement, ce dernier ne s’est pas vu refuser l’accès
aux voies de recours internes pas plus qu’il lui a été interdit de les
épuiser. Le requérant aurait
pu interjeter appel en temps opportun de l’injonction qui a annulé le
jugement par défaut antérieur, mais il ne l’a pas fait.
Ce qui plus est, la déclaration de nullité du jugement par défaut
n’a pas empêché le requérant de former un recours dans un autre Etat ou
devant un tribunal fédéral. Enfin,
il n’y a pas eu de retard excessif dans le prononcé du jugement final
dans les procédures de recours ci-dessus mentionnées.
Le seul retard apporté au jugement de la réclamation du requérant
est imputable au fait que ce dernier a négligé d’utiliser les voies de
recours ouvertes.
22.
Finalement, les Etats-Unis ont fait valoir que, compte tenu du fait
que la réclamation du requérant n’avait pas été pleinement décidée
par jugement devant les tribunaux internes des Etats-Unis, et étant donné
que le requérant continue de recourir à la justice à la suite de la décision
du tribunal d’annuler le jugement par défaut antérieur, il est clair que
le requérant n’a pas épuisé les voies de recours judiciaires ouvertes
dans ce pays. Par conséquent,
le requérant ne respecte pas la clause de prescription d’épuisement des
voies de recours stipulée à l’article 37, et les Etats-Unis
demandent respectueusement à la Commission de déclarer la requête
irrecevable, en application des dispositions de l’article 41 (a).
Les Etats-Unis ont déclaré que, du fait qu’ils sont d’avis que
la requête n’est pas recevable, les interprétations de la loi et les déclarations
des faits présentées dans la requête ne sont pas pleinement envisagées.
C.
Réponse du requérant à la réplique du Gouvernement concernant la
requête
23.
Le requérant a répondu à la réplique du Gouvernement dans trois
communications en date des 14 avril, 21 avril et 10 mai 1993
et a fait valoir que le Gouvernement des Etats-Unis a invoqué l’absence
de notification comme excuse pour refuser à la Nation Cherokee d’intenter
une action devant les tribunaux. Le
jugement par défaut a fait ressortir que le défendeur (Etats-Unis) avait
été dûment notifié, que la demande d’affirmation du jugement a été
présentée par les Etats-Unis le 16 mars 1992, soit 187 jours
après le jugement. Or, dans
tous les systèmes judiciaires de l’Amérique, passés 30 jours, le
jugement est final et ne peut être contesté.
Enfin, les feuilles d’audience indiquent que la comparution a été
générale et que les deux comparutions générales ont obvié à la
notification et suppléé à la carence de celle-ci.
Par conséquent, on ne peut faire comparaître les Etats-Unis pour vérifier
si un fonctionnaire de police du Comté de Creek, Oklahoma, a signifié
personnellement l’assignation à comparaître au Gouvernement des
Etats-Unis.
24.
Le requérant a également fait valoir, en ce qui concerne l’épuisement
des voies de recours à la justice, que les Etats-Unis devraient indiquer
expressément à quelles voies de recours ils se réfèrent, et s’ils
garantissent le droit d’utiliser ces voies de recours et cessent de
harceler les amérindiens qui cherchent à s’en prévaloir.
Pour la première fois, les Etats-Unis ont présenté une défense
ostensiblement réelle face à la réclamation de non-paiement présentée
par les cherokees de l’Ouest au titre de l’offre de transfert vers les
territoires de l’Oklahoma. Les
Etats-Unis ont admis que les Cherokees de l’Ouest n’ont jamais accepté
l’offre de transfert et, de même, que les accords sont par la suite restés
lettre morte. Cette
reconnaissance des faits est consignée dans l’excellent document intitulé
"Loi fédérale indienne"[5]/.
25.
Le requérant a avancé, d’autre part, que les Etats-Unis ont
soutenu qu’ils avaient payé les Cherokees de l’Est, et que les
Cherokees de l’Ouest n’avaient pas nié la possibilité que ceux-ci
aient reçu paiement pour le reliquat.
Tous les exposés de faits antérieurs ont fait l’objet d’un
jugement rendu par le tribunal du Comté de Creek, Oklahoma, jugement auquel
les Etats-Unis ont été représentés par M. Pinnell, Procureur général
adjoint des Etats-Unis. Il y a
lieu de faire observer que le Gouvernement des Etats-Unis a affirmé
n’avoir jamais révélé qu’il avait opposé une exception de plusieurs
sessions du tribunal avant de comparaître et bafoué les droits de
l’homme conférés aux Indiens — leur droit à ester en justice —
lorsque le jugement final a été exécuté.
26.
Le requérant a indiqué, d’autre part, que si le Gouvernement des
Etats-Unis accordait les voies de recours supplémentaires, après avoir
expressément énoncé ces droits, il faudrait, pour pouvoir les exercer,
que le Gouvernement lui fournisse sans tarder des fonds, car il a épuisé
toutes ses ressources. L’indemnité
sollicitée serait équivalente à la moitié des fonds que les Etats-Unis
ont octroyés à M. Nibell au titre des frais occasionnés lorsqu’il
a représenté les Cherokees de l’Est.
Le requérant a indiqué plus loin "qu’il offrait d’accepter
EU$100 millions à titre de règlement amiable".
Il a poursuivi qu’il était persuadé que le Gouvernement des
Etats-Unis se rendrait compte du fait que ce montant était considérablement
inférieur à celui qu’il avait offert dans l’instance introduite auprès
du Tribunal des réclamations devant lequel il a essayé de régler cette
affaire. Le requérant a fait
valoir que le chiffre mentionné de 1 dollar l’acre de terrain,
lequel avait en réalité une valeur réelle de EU$10 l’acre,
s’appliquait à la superficie totale qui englobait plus de 1 milliard
d’acres.
27.
Le requérant a déclaré également, en ce qui concerne sa compétence
à représenter les Cherokees, que le Gouvernement a cité les dispositions
de la section 81 du décret législatif 25 (25 USCS).
Le requérant a indiqué que ce décret prévoyait une exception qui
satisfaisait suffisamment aux prescriptions de la section en question.
Il a également fait valoir qu’il acceptait de respecter la réparation
indiquée et qu’il n’y avait pas lieu de démontrer qu’un contrat était
nécessaire car il serait établi par ailleurs que l’on avait affaire à
un héritier d’un Cherokee immatriculé sous le No 13.690,
dénommé L.B. Butler.
D.
Réfutation par le Gouvernement des Etats-Unis de la réponse du requérant
28.
Les Etats-Unis ont répondu le 23 juin 1993 à la réponse
que le requérant avait adressé à leur réplique, en indiquant à la
Commission qu’il s’agissait de leur réplique intégrale du 19 mars 1993
et ont réitéré les arguments que celle-ci contenait.
Les Etats-Unis ont fait savoir que le requérant avait fait état à
maintes reprises d’une règle mondiale de garanties judiciaires, en vertu
de laquelle tout arrêt d’un tribunal est final à l’expiration de 30 jours
et ne peut être contesté. Les
Etats-Unis ont affirmé qu’ils n’avaient pas connaissance de
l’existence d’une telle règle de droit international et que le requérant
n’en avait pas cité les dispositions.
Les Etats-Unis ont également soutenu que les règles internes de
procédure dans certains Etats admettent des délais beaucoup plus longs
pour modifier leurs jugements. L’Etat
de l’Oklahoma avait compétence sur l’affaire interne des Cherokees de
l’Ouest. La législation de
l’Oklahoma, Titre 12, Section 1031, contient une règle qui
permet de manière concrète et inéquivoque à un juge d’annuler ou de
modifier son jugement reposant sur des faits concrets.
La loi de l’Oklahoma stipule que "un tribunal fédéral de
première instance aura compétence pour annuler ou modifier ses propres arrêts
ou ordonnances" dans un délai d’un à trois ans à partir de la date
du jugement, en fonction de l’erreur matérielle qui aurait été commise.
29.
Les Etats-Unis ont aussi soutenu que la demande d’annulation du
jugement par défaut a été déposée six mois après l’enregistrement de
celui-ci. Ils ont donc agi dans
les délais fixés par la loi de l’Oklahoma applicable aux demandes de
cette nature. De l’avis du
tribunal de l’Oklahoma émis dans l’affaire des Cherokees de l’Ouest,
le fait que la partie requérante ne s’était pas alignée sur la loi de
l’Etat pour signifier l’assignation aux Etats-Unis avait privé le
Gouvernement de l’opportunité de se prévaloir des voies légales et que
ce déni des voies de droit avait invalidé le jugement par défaut.
Le Gouvernement des Etats-Unis a poursuivi que les allégations du
requérant, selon lesquelles la comparution des Etats-Unis signifiant son
intention de s’opposer à la demande avait remédié à tout vice de la
notification, n’étaient pas fondées ainsi qu’il ressort des faits de
la cause. Le Gouvernement a
soutenu, comme indiqué dans la communication du 19 mars 1993,
qu’il n’avait pas comparu par suite de la notification déficiente
lorsqu’a été rendu le jugement par défaut, le 11 septembre 1991.
S’appuyant sur le jugement par défaut erroné, une procédure de
saisie a été instituée contre la Banque de l’Oklahoma.
Cette procédure a toutefois été déclarée nulle et non avenue par
le tribunal après que l’on eût constaté que la Banque ne détenait
alors aucun fonds des Etats-Unis.
30.
Les Etats-Unis ont affirmé à nouveau que la citation à comparaître
avait été entachée d’un vice de forme et ont soutenu que les règles de
procédure et les normes régissant les voies de droit qui sont appliquées
dans l’Oklahoma ne sont ni inhabituelles, ni irrationnelles.
Les procédures appropriées de signification de la citation au
Gouvernement des Etats-Unis sont énoncées dans le Titre 12, Section 2004
du Statut de l’Oklahoma. Ces
procédures, jointes à la règle qui permet au tribunal d’annuler ses
jugements pour un motif déterminé, sont conçues et s’appliquent dans le
souci d’assurer l’équité et l’exactitude des verdicts judiciaires,
compte tenu du principe de res judicata.
Les Etats-Unis ont également soutenu que l’objectif des procédures
est d’élargir la possibilité qu’une affaire soit jugée sur le fond
par des parties tout à fait prêtes à présenter leur exposé des faits.
31.
Les Etats-Unis ont rejeté l’assertion du requérant selon laquelle
les Cherokees de l’Ouest se sont vu refuser le droit de faire entendre
leur cause. Les Etats-Unis ont
rétorqué que ce sont plutôt eux qui se sont vus privés, en raison de la
signification impropre de la citation, de la possibilité de plaider leur
cause devant le tribunal. D’autre
part, le jugement dans cette affaire a été annulé sans préjudice pour le
demandeur, lequel a la faculté de soumettre à nouveau l’affaire dans
l’Oklahoma, de citer le Gouvernement en justice, et d’introduire une
instance devant les tribunaux. Le Gouvernement des Etats-Unis a déclaré à nouveau que la
réclamation du requérant dans cette affaire doit être jugée irrecevable
parce que ce dernier n’a pas encore tenté d’épuiser les voies de
recours internes ouvertes. Le
Gouvernement a souligné que non seulement le requérant n’a pas interjeté
appel du jugement par défaut lorsque celui-ci a été annulé, mais a également
choisi de ne pas introduire à nouveau l’instance en notifiant comme il se
doit l’autre partie.
32.
Les Etats-Unis ont déclaré que le requérant a posé d’autres
questions dans ses communications supplémentaires auxquelles ils voudraient
brièvement se référer. Tout
d’abord, les Etats-Unis ne sont pas obligés d’offrir au requérant
d’autres voies de recours que celles qui sont déjà ouvertes dans le
cadre des lois des Etats-Unis. D’autre
part, aucun défendeur, dans notre système juridique, y compris le
Gouvernement des Etats-Unis, n’est tenu de payer à l’avance les
honoraires d’avocat des parties qui désirent lui intenter un procès.
Par conséquent, les assertions du requérant à cet égard sont
totalement sans fondement. Enfin,
les Etats-Unis ont indiqué qu’ils avaient constaté une disparité
importante entre le prix de l’acre que le représentant attribue à la
terre, tantôt EU$10 l’acre et tantôt EU$100.
Les Etats-Unis ont conclu leur exposé en soutenant que ladite requête
était, à leur avis, irrecevable aux termes des dispositions de l’article 37
du Règlement de la Commission.
A.
Aspects liés à la recevabilité de la requête
33.
Les questions soulevées par les parties en ce qui concerne la
recevabilité de la requête sont les suivantes:
a. Le requérant a-t-il invoqué et épuisé
les voies de recours internes?
b. L’état d’indigence allégué par
le requérant l’excuse-t-il d’invoquer et d’épuiser les voies de
recours internes ouvertes?
B.
Analyse
34.
La Commission a examiné, étudié et pris en considération le
dossier, y compris les arguments et les preuves présentés par les parties
en cause, conformément aux dispositions de son Règlement.
Elle a déterminé que cette requête "ne fait pas l’objet
d’une instance encore pendante devant une organisation internationale
gouvernementale dont fait partie l’Etat concerné et n’est pas
substantiellement identique à une autre soit encore pendante devant la
Commission ou tout autre organisme international gouvernemental dont fait
partie l’Etat concerné, soit déjà instruite et tranchée par ladite
Commission ou ledit organisme"[6]/. La Commission examine
infra si le requérant a invoqué et épuisé les voies de recours de
la juridiction interne, conformément aux dispositions de l’article 37
du Règlement de la Commission, ou s’il en est dispensé du fait de son
allégation d’indigence.
a. Les voies de recours internes
ont-elles été invoquées et épuisées?
35.
L’article 37 du Règlement de la Commission stipule ce qui suit:
1.
Pour qu’une requête puisse être déclarée recevable par la
Commission interaméricaine des droits de l’homme, il faut que toutes les
voies de recours de la juridiction interne ouvertes en l’espèce aient été
utilisées et épuisées, conformément aux principes du droit international
généralement admis.
2.
Les dispositions du paragraphe ci-dessus ne sont pas applicables:
a. lorsque n’existent pas dans la législation
interne de l’Etat concerné les formes et garanties de procédure nécessaires
pour assurer la protection du droit ou des droits présumés violés;
b. lorsqu’a été refusé à la personne
dont les droits sont présumés lésés l’accès aux voies de recours de
la juridiction interne, ou lorsque cette personne a été empêchée de les
utiliser jusqu’à leur épuisement;
c. lorsqu’il y a eu un sursis injustifié
de la part des autorités à statuer sur l’espèce.
3.
Lorsque le requérant affirme qu’il lui est impossible de
satisfaire à la condition prescrite dans le présent article, il
appartiendra au Gouvernement mis en cause dans la requête de démontrer à
la Commission que les voies de recours internes n’ont pas été épuisées,
à moins qu’une telle conclusion ne ressorte clairement des faits énoncés
dans cette requête.
36.
Après avoir examiné le dossier, la Commission constate que le requérant
a fait valoir qu’un jugement par défaut a été rendu le 11 septembre 1991
par le tribunal de l’Etat de l’Oklahoma contre les Etats-Unis, qui
n’ont pas comparu à l’audience. Le
requérant a également fait valoir que le Gouvernement des Etats-Unis avait
été dûment assigné à comparaître, conformément aux lois de l’Etat
en question. Le requérant a
aussi présenté plusieurs pièces justificatives à la Commission, dont une
copie d’un arrêt du tribunal portant injonction datée du 21 août 1991,
signée par le juge de district du tribunal fédéral de première instance
du Comté de Creek, dans l’Etat de l’Oklahoma.
Cet arrêt était intitulé: "Ordonnance",
fixant la date d’audience pour une demande d’ordonnance de ne pas
faire-Ordre au greffier du tribunal de publier l’avis.
L’ordonnance stipulait que "la requête et les demandes seront
entendues dans le bâtiment des tribunaux de Sapuylpa, Oklahoma, Comté de
Creek, Etat de l’Oklahoma, le 11 septembre 1991 à 9 heures 30
et que le greffier enverra par la poste ou ordonnera que soit envoyée au défendeur
une copie certifiée conforme de cette ordonnance par le service postal des
Etats-Unis (par courrier recommandé ou non), avec accusé de réception.
Le demandeur fournira l’adresse".
37.
L’arrêt portant injonction indique ce qui suit "envoyer
copie du présent arrêt à M. James Fisk, avocat, et au
Commissaire des Affaires indiennes".
Le dossier entre les mains de la Commission comporte également un
document intitulé "Certificat de signification", du 3 septembre 1991,
portant la mention suivante: "Je,
soussigné, Pat Hobbs, greffier du tribunal du Comté de Creek,
Oklahoma, certifie qu’une copie fidèle, correcte et exacte de
l’ordonnance susdite fixant la date d’audience, a été par moi placée
dans une enveloppe adressée en port payé au défendeur désigné ci-dessus ________,
ou au représentant dudit défendeur
_______, laquelle a été envoyée le 21 août 1991 par
courrier recommandé avec accusé de réception (sont joints en annexe le reçu
de la recommandation et la carte de l’accusé de réception sur laquelle
figure la date à laquelle elle a été reçue par le greffier du
tribunal". Cette pièce
justificative était signée par le Commissaire.
Etait également annexée au justificatif la copie d’un document
intitulé: "Carte
d’accusé de réception reçue le 3 septembre 1991". L’article porte le numéro P778-588-964.
La partie réservée à l’adresse de l’accusé de réception
indique que l’"article adressé à David Matheson, Ministère de
l’intérieur, Washington, D.C., 20240" a été délivré le
27/VIII/91.
38.
Il ressort du dossier en possession de la Commission que le
Gouvernement des Etats-Unis a comparu devant le tribunal de l’Oklahoma,
qu’il a, le 11 mai 1992, obtenu l’annulation du jugement par défaut
et que, le 9 avril 1992, le défendeur a soumis une requête de révision
au tribunal faisant valoir que ce dernier devrait appliquer la règle des 30 jours,
et que, lorsqu’il a fait acte de comparution devant le tribunal, le
Gouvernement des Etats-Unis avait signifié son intention de s’opposer à
la demande, ce qui lui accordait une dispense et remédiait à toute irrégularité
juridictionnelle. Enfin, le
fait que la règle des 30 jours n’ait pas été appliquée constitue
un refus du droit à l’accès des voies légales.
Le tribunal n’a pas rétabli son jugement par défaut rendu en
septembre 1991.
39.
La Commission a également pris note de l’argument des Etats-Unis
qui est fondé, à savoir que le requérant n’a ni invoqué, ni épuisé
les voies de recours internes ouvertes aux Etats-Unis, que ces voies de
recours lui sont toujours ouvertes, et, par conséquent, la Commission est
d’avis que cette requête est irrecevable conformément aux dispositions
de l’article 37 de son Règlement.
Dans l’affaire Velásquez Rodriguez, la Cour interaméricaine
des droits de l’homme, après avoir examiné les exceptions à l’épuisement
des voies de recours internes comme le stipule l’article 46 de la
Convention américaine, a déclaré que:
"l’Etat qui allègue le non-épuisement a la responsabilité
de désigner les voies de recours internes qui doivent être épuisées et
d’indiquer leur effectivité"[7]/.
40.
L’arrêt postérieur de la Cour interaméricaine fait état de ce
qui suit: "À cette
occasion, la Cour juge qu’il est utile de préciser que si un Etat qui allègue
le non-épuisement prouve l’existence de voies de recours internes déterminées
qui auraient dû être utilisées, il appartient à la partie adverse de démontrer
que ces voies de recours ont été épuisées ou que l’affaire relève des
exceptions de l’article 46 (2).
On ne doit pas présumer à la légère qu’un Etat Partie à la
Convention a failli à son obligation d’offrir des voies de recours
internes efficaces"[8]/. La Cour interaméricaine
des droits de l’homme a poursuivi en faisant observer que:
"la règle de l’épuisement préalable des voies de recours
internes permet à l’Etat de résoudre le problème conformément à son
droit interne avant d’être confronté à une procédure judiciaire
internationale, ce qui constitue un argument particulièrement puissant de
la juridiction internationale des droits de l’homme, celle-ci venant à
l’appui ou en complément de la juridiction interne"[9]/.
41.
La Commission est d’avis que l’article 37 de son Règlement
est l’instrument qui régit la décision de recevabilité et que ses
dispositions sont applicables. Le
requérant n’a pas satisfait à son obligation de démontrer de manière
suffisante que les tribunaux des Etats-Unis n’offrent pas les formes et
garanties de procédure pour la protection de ses droits.
Il reste encore aux Etats-Unis des voies de recours internes
susceptibles d’être invoquées et épuisées.
La décision d’un juge qui a accordé un jugement par défaut pour
une question de procédure en faveur du requérant et qui, par la suite, a
annulé le jugement à la demande des Etats-Unis en se fondant sur des règles
de droit, ne nie pas à elle seule le fait que ces voies de recours sont
toujours ouvertes et peuvent être utilisées et épuisées.
Le requérant n’a pas établi qu’il s’était vu refuser l’accès
des voies de recours dans le cadre de la juridiction interne ou qu’il
avait été empêché de les épuiser.
Il n’a pas non plus fait la preuve d’un retard injustifié dans
le prononcé d’un jugement définitif dans le cadre des voies de recours
internes. D’après le dossier
en possession de la Commission, les tribunaux des Etats-Unis n’ont pas
rendu un jugement définitif tranchant le fonds du litige et le Gouvernement
des Etats-Unis soutient que cette option est toujours offerte au requérant.
42.
La Commission fait observer que le requérant a affirmé que du fait
de son indigence, il n’a pu utiliser et épuiser les voies de recours
internes ouvertes. Il a également
fait valoir qu’il avait intenté cette action en justice pendant les cinq
dernières années, que ses ressources juridiques et financières étaient
épuisées, et qu’il avait dépensé EU$50 000 pour poursuivre
l’affaire alors qu’entre-temps, le Gouvernement, suivant ses tactiques,
avait soulevé des exceptions dilatoires devant le tribunal du Comté de
Creek, dans l’Oklahoma.
43.
Par conséquent, la question qui se pose est de savoir s’il faut
excuser le requérant d’invoquer et d’épuiser les voies de recours
internes ouvertes pour le motif d’indigence.
La Cour interaméricaine des droits de l’homme a examiné la
question de l’"indigence" dans un avis consultatif que lui avait
demandé de rendre la Commission[10]/. La Cour s’est
reportée à l’article 46 de la Convention américaine qui se réfère
aux Etats parties et est semblable à l’article 37 du Règlement de
la Commission. Cette dernière
a déclaré ce qui suit:
La Commission déclare qu’elle a reçu
certaines requêtes dans lesquelles la victime allègue qu’elle n’est
pas en mesure de satisfaire à la condition prescrivant l’utilisation des
voies de recours de la juridiction interne jusqu’à leur épuisement, et
ce faute de pouvoir supporter les frais d’honoraires d’avocat, et dans
certains cas, les frais requis par le dépôt de la requête.
L’application de l’analyse antérieure aux exemples indiqués par
la Commission a permis de conclure que dans le cas où les services
juridiques seraient nécessaires à titre de point de fait ou de droit pour
faire reconnaître un droit protégé par la Convention et lorsque la
personne n’a pas accès à ces services pour cause d’indigence, elle se
verra dégagée de l’obligation d’utiliser les voies de recours internes
jusqu’à épuisement. Il en
est de même du paiement des frais de dépôt de la requête, ce qui veut
dire que, dans le cas où un indigent ne peut acquitter les frais, on ne
pourra exiger qu’il utilise les voies de recours internes jusqu’à épuisement,
à moins que l’Etat ne lui offre un certain mécanisme de remplacement.
44.
La Cour a conclu dans ces termes:
"une fois qu’un Etat partie a établi l’existence de voies
de recours internes pour l’application d’un droit spécifique garanti
par la Convention, la charge de la preuve est transférée au plaignant,
lequel doit établir que les exceptions prévues à l’article 46 (2)
s’appliquent en l’espèce, que ce soit par suite d’indigence..."[11]/.
45.
La Commission a fait observer que le requérant a allégué qu’il
était indigent et qu’il avait dépensé EU$50 000 pour intenter
cette action en justice au nom de la Nation Cherokee.
Néanmoins, la Commission ne dispose pas d’information ni de preuve
suffisante dans le dossier pour établir si l’"indigence" a mis
le requérant dans l’impossibilité d’invoquer et d’épuiser les voies
de recours internes auprès des tribunaux des Etats-Unis, conformément aux
dispositions de l’article 37 du Règlement de la Commission.
En l’absence d’autres preuves produites par le requérant, les
allégations d’indigence ne suffisent pas à elles seules à établir
qu’il s’est vu dans l’impossibilité d’invoquer et d’épuiser les
voies de recours internes des Etats-Unis.
46.
Conclusion: La Commission conclut que la requête est irrecevable
pour le motif que les voies de recours de la juridiction interne des
Etats-Unis n’ont pas été invoquées et épuisées.
POUR
LES RAISONS EXPOSEES CI-DESSUS,
LA COMMISSION INTERAMERICAINE DES DROITS
DE L’HOMME, DECIDE:
47.
Cette requête est irrecevable conformément aux dispositions de
l’article 37 du Règlement de la Commission.
48.
La présente affaire est classée.
49.
Ce rapport sera transmis aux parties.
50.
Le présent rapport sera publié dans le Rapport annuel à
l’Assemblée générale de l’OEA.
*
Le Doyen Claudio Grossman et le Professeur Robert Goldman,
membres de la Commission, n’ont pas participé aux délibérations, ni
au vote concernant cette affaire, conformément aux dispositions de
l’article 19 du Règlement de la Commission.
Le Doyen Grossman réside aux Etats-Unis et le Professeur Goldman
est citoyen américain. [3].
Dans sa réplique, le Gouvernement des Etats-Unis a ajouté la
note suivante "Dans son recours à la justice, le requérant
donne à entendre qu’il représente l’ensemble de la Nation
Cherokee. Conformément à
la loi fédérale, quiconque prétend représenter la Nation Cherokee
dans des affaires juridiques ou financières devra consigner l’accord
par écrit dans un contrat qui doit obtenir l’agrément du Ministre de
l’Intérieur et du Commissaire aux Affaires indiennes.
Voir 25 U.S.C., section 81 ; 25 C.F.R., section 89.30.
Or, d’après le Ministère de l’Intérieur, ce contrat est
inexistant. Par conséquent, le requérant agit présumément seul et
tout ce qui est dit dans les présentes se réfère au requérant en
tant qu’individu". [5].
Id. dans 172 et suiv., volume publié par l’Office des
publications du Gouvernement et documentation établie par le juriste
James Bennet. [7].
Affaire Velásquez Rodriguez, Exceptions préliminaires, arrêt
du 26 juin 1987, Série C, no 1, 23:88.
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